Liam
L'après-midi est bien entamé quand je range mon matériel de kitesurf dans le coffre de la jeep. Je quitte le bord de mer, m'engage sur la voie principale et prends la direction de la maison.
Aujourd'hui, cela fait deux ans jour pour jour. Ce matin, j'ai ouvert mon téléphone. La gorge nouée. La poitrine comprimée à en avoir mal. J'ai fait défiler ses photos. Des dizaines de clichées compilées en dix-neuf mois. Comment pourrais-je l'oublier ? Je n'en ai pas le droit. Je ne le veux pas. Son souvenir sera toujours avec moi. Chaque jour. Je raviverais nos moments de joie. J'aurai l'impression d'entendre encore son rire argentin. Je conserverai précieusement chaque bulle de bonheur partagée. La récolte n'a pas été abondante. Nous n'en avons pas eu le temps.
Pourquoi ? Oui. Pourquoi a-t-il fallu que cela arrive ? Que sa vie soit si brève ? J'aurai pris sans hésiter sa place. Si le choix m'en avait été donné. Un sentiment de révolte et de colère me tordait les tripes. Les images de cette journée défilaient dans ma tête. Chacune des minutes infernales. Chacune des interminables heures d'enfer. Alors, j'ai pris mon aile et ai mis le cap vers l'une des plages venteuses de l'île. J'ai navigué sur la crête des vagues. Je me suis bagarré contre les courants. Je me suis laissé porter par eux. J'ai défié les éléments. Pendant un instant, la douleur s'en est allée. Ma rage s'est apaisée. Je sais désormais qu'il en sera toujours ainsi. La blessure se rouvrira chaque fois à cette date plus particulièrement.
J'enclenche le clignotant et bifurque pour remonter l'allée.
Je me suis conduit comme un salaud avec Tara. Dans la voiture, en la raccompagnant à son hôtel, elle est restée silencieuse pendant tout le trajet. Elle ne m'a fait aucun reproche. Pourtant, elle ne doit rien y comprendre. J'ai conscience de souffler le chaud et le froid. Cette ambivalence est à l'image de la dualité qui m'habite quand je suis avec elle.
Hier, je suis parvenu à brider mon désir. À garder la maîtrise. Je ne sais pas comment j'y suis arrivé. L'envie de plonger en elle me dévastait les reins. Mais ce n'est pas ce qui me tracasse le plus. Je me rends bien compte que notre relation est en train de dériver. Notre complicité se renforce chaque jour un peu plus. Du plan cul que ça devait être, c'est devenu bien plus que ça pour elle. Jamais je n'aurais dû entamer cette liaison. Je pressentais qu'elle n'était pas le genre de fille qui sait que « sexe ne rime pas forcément avec sentiments ». Et je sens qu'elle commence à en avoir pour moi. Elle a tort. S'attacher à quelqu'un, c'est abaisser ses défenses. Se mettre à nu. Risquer de subir des blessures qui ne cicatriseront jamais vraiment.
Et ça, avec Tara, j'ai également un peu trop tendance à l'oublier.
Elle suscite en moi des émotions que je ne veux plus ressentir. Elle rôde dans ma tête. Ne me laisse pas en paix. Sa fraîcheur, sa fêlure, sa vulnérabilité me désarçonnent. Résonnent en moi. Malgré toutes mes rencontres, cela fait plus de deux ans que je ne me suis pas senti si troublé par une femme. Et pour cause, habituellement, je m'arrange pour ne jamais fréquenter ce genre de filles. Celles qui ravivent mon besoin de protéger. Michelle aussi éveillait en moi les mêmes sentiments au début.
Je le sens dans mes tripes. Tara est un danger pour l'équilibre que j'ai retrouvé sur Formentera. Elle ébranle mes certitudes chaque jour un peu plus. Mais je ne parviens pas à prendre de la distance. À rester froid. Ce qui m'inquiète, c'est que je sens confusément qu'avec elle, ça serait facile de recommencer à espérer. De croire que... ça en vaut la peine. Et ça, je ne dois pas. Je ne veux plus donner prise à la souffrance. Je ne veux plus rien éprouver de profond. De la baise, c'est tout ce que je veux désormais. Avec toutes les autres. Et avec Tara. Pour les quelques jours qu'il lui reste à passer sur l'île, j'y veillerai. Je tâcherai de ramener notre relation à ce qu'elle doit être : un truc purement sexuel.
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Juste une nuit
RomansaTara : Ma vie était consacrée à la danse. Depuis toujours, je rêvais de faire partie du prestigieux corps de ballet du Royal Opéra House à Londres. J'ai travaillé dur et me suis imposé une discipline draconienne pour y parvenir. Puis un jour, en une...