Juste une nuit

Chapitre 7

Liam

Assis à mon bureau, je dévore mon plat cuisiné à même le récipient. Je viens de commencer la correction du manuscrit que James m'a envoyé. Intéressant, le style. L'histoire n'est pas mal goupillée. Ça tient la route. Je ne pensais pas prendre autant plaisir à ce travail. Je plante ma fourchette dans la barquette pour faire défiler le texte sur l'écran. Un instant après, une coquille me saute aux yeux. Elles sont peu nombreuses. Une faute d'orthographe, de syntaxe ou de tournure de phrase par-ci par-là.

James est persuadé d'avoir misé sur le bon bouquin. Je ne suis pas loin de lui donner raison. Pour ce que j'en ai vu, en tout cas. Ça serait un premier essai pour l'auteur. Un jeune d'une vingtaine, d'après mon pote. Ça me ramène à mes propres débuts en tant qu'écrivain. À cette époque, je me faisais avant tout plaisir avec mes fictions. Ce que je voulais c'était perdre le lecteur en supputations. Le captiver. Et surtout faire naître en lui toute une palette d'émotions. Le succès de mon premier roman a été fulgurant. C'était il y a cinq ans. Tant de choses se sont passées depuis...

J'étais frais moulu de l'école de journalisme. Je bossais à la pige pour un grand quotidien tout en planchant sur mon bouquin. C'était sans y vraiment croire que je l'ai expédié à plusieurs boîtes d'édition. Ma surprise a été totale quand j'ai reçu une réponse positive. C'est comme ça que j'ai fait la connaissance de James. Nous sommes devenus amis. De vrais amis. De ceux que l'on compte sur les doigts d'une main. James a tout de suite été certain que mon polar aurait du succès. Il ne s'était pas trompé. Mais même lui n'a pas pensé que mon livre serait un best-seller. Pendant un temps, j'ai été étourdi par cette réussite fulgurante. Je me suis laissé entraîner dans le monde factice des paillettes. C'est à une soirée du gotha culturel londonien que j'ai rencontré Michelle. Mais cette existence faite de futilités, ce n'était pas pour moi.

J'ai ensuite farouchement préservé ma vie privée. J'ai recouvré le sens de ce qui avait réellement de la valeur pour moi. Et j'ai repris mon ancienne vie. Le job de pigiste en moins. Financièrement, je n'en avais plus besoin. Je pouvais désormais me consacrer entièrement à l'écriture. Mon deuxième bouquin a également fait un carton. James a bien tenté de me convaincre de me lancer dans une tournée promotionnelle. De faire figurer mon portrait sur le quatrième de couverture. J'ai refusé tout net. Mon « pote-éditeur » a regimbé, mais il s'y est tout de même tenu. Je me suis par la suite félicité de cette décision. Jamais Michelle et moi aurions pu supporter de voir notre histoire s'étaler dans les feuilles de chou...

Le téléphone vibre sur le bord de la table de travail. J'y jette un coup d'œil. Je m'en saisis dès que je déchiffre le nom de mon interlocuteur.

C'est ma mère. Je m'attendais à son appel. Je sais que pour elle aussi cette période de l'année est compliquée. Elle ne l'est pas que pour nous deux, d'ailleurs.

Je me renverse dans mon fauteuil pivotant et décroche.

— Allô.

— Bonjour, Liam, répond-elle d'un ton enjoué que je devine forcé.

— Comment ça va à Londres ?

— On va tous pour le mieux. Jacob te passe le bonjour.

Jacob est son second mari depuis plus de douze ans. Elle est devenue madame Élie Witcomb quelque quatre ans après le départ de notre père à Joshua et moi. Les premiers mois, la vie de famille n'a pas été un long fleuve tranquille. Loin de là. Les relations entre les deux ados que nous étions et notre beau-père ont été houleuses. Mais Jacob ne s'était pas laissé impressionner. Et point essentiel pour nous, il était évident qu'il aimait notre mère.

— Comment va-t-il ?

— Je le trouve un peu surmené en ce moment..., marmonne-t-elle comme pour elle-même avant de continuer plus fermement. Mais je t'appelle surtout pour savoir comment toi tu vas.