Chapitre 10 : part 1

577 18 281
                                    


J'ai fait tourner la clé dans la porte de ma chambre, tiré le rideau à ma fenêtre avant de me laisser glisser contre l'armoire en bois. Je suis trempée et mes cheveux ont laissé entrer la pluie dans ma chambre faisant résonner des plocs le long du parquet.

Je ferme les yeux, je me revois passer les portes de Garreg Mach derrière le cheval de mon père auquel la civière le transportant a été fixée. C'est un jeune soldat qui en tient la bride et qui, de fait, impose son rythme à notre convoi mortuaire. D'autres soldats sont partis, avant nous, annoncer la nouvelle. À côté de moi j'entends le cheval de Pétra et derrière ceux des autres étudiants des Black Eagles. Je sais qu'ils m'observent mais je n'arrive pas à soutenir leurs regards.

Je m'étends sur le sol de ma chambre, à bout de force, une oreille contre le parquet. Les lames de bois conduisent les bruits de l'extérieur. J'entends les pas d'étudiants dans les couloirs. Juste à leur façon de se déplacer je devine que beaucoup sont agités. Ils marchent vite ou trottinent.

Après avoir passé les remparts du monastère, des chevaliers se sont précipités sur nous, sur mon père. Je vois la tristesse, la peur et la colère défiler sur leur visage. Alois cours, incroyablement vite dans sa lourde armure. Son visage choqué par la vue de la dépouille de mon père devient lentement la représentation la plus sincère de la tristesse. Il se laisse tomber à genoux à côté de la civière qui a été décrochée de l'animal et attrape la main de mon père visible au travers du drap trempée. J'observe, tétanisée. Je m'aperçois que mes camarades sont descendus de leur cheval, lorsque Dorothéa me frôle la jambe une main tendue vers moi pour m'aider à descendre. J'ai mis du temps à la prendre. Quand mes pieds ont heurté le sol je ne m'attendais pas à ce qu'il soit si dur. J'ai tangué et me suis raccroché à un des étriers sales de ma selle. Dorothéa avait mis ses mains autour de moi prête à me rattraper. Je n'ai pas osé la regarder et en tournant la tête c'est les yeux du chevalier Alois que j'ai croisé. Bien que brièvement j'ai vu qu'il s'inquiétait pour moi. C'était insupportable, j'ai préféré me retourner et récupérer mes affaires de mon cheval en m'essuyant les yeux dans mon bras tout aussi mouillé.

J'ai laissé tomber mes sacoches juste derrière la porte. Je n'ai rien défait et l'eau a formé de petites flaques autours. Sur le parquet à hauteur de mes yeux, l'humidité des traces de boue de mes bottes reflètent la lumière qui filtre malgré le rideau tiré. Je suis pareille à elle, une trace sur le sol, mes larmes ont déjà commencé à sécher, comme elles et un jour elles disparaîtront, comme mon père, comme moi.

Le plus difficile a été le cri de Léonie. Elle a hurlé, à s'en déchirer la voix. Mes mains se sont resserrées sur mes sacoches et j'ai donné un coup de tête contre la selle de mon animal en serrant les dents. Je n'en pouvais déjà plus d'entendre et de voir des gens plus affectés que moi par la mort de mon père. Léonie elle, je... Je ne veux pas comparer sa tristesse à la mienne. Je ne veux plus penser à elle et à la relation qu'elle avait avec mon père. Je ne veux pas me demander si elle aurait fait une meilleure fille pour lui. Je ne veux pas la voir pleurer contre son corps là où tout le monde s'attendrait que je sois là, à sa place. J'ai parfois entendu certains soldats s'étonner que ce soit moi la fille de Jeralt et pas elle, elle qui passé tant de temps à le solliciter pour s'entraîner, qui est grande, forte, semble indépendante et débrouillarde, qui lui ressemble un peu, en tout cas plus que moi. J'ai dit à Dorothéa que je voulais aller dans ma chambre. Je ne pouvais plus bouger. Je n'arrivais pas à faire un pas seule et je ne tenais debout que parce que l'animal devant moi avait accepté de rester en place malgré le coup que je lui avais assené, j'avais laissé ma tête me reposer sur lui. Elle a glissé son bras sous le mien, m'a tirée contre elle et nous avons marché jusqu'au dortoir. Je n'ai pas levé la tête, je ne voulais voir personne.

Fire Emblem Three Houses : Byleth EisnerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant