Chapitre 1

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Ces routes de montagnes semblaient ne jamais avoir de fin. Depuis des heures, le même paysage défilait devant moi : des sapins, des troncs, des fougères, de la mousse. Un camaïeu de nuances de vert et de marron, souligné d'une légère brume paresseuse qui flottait lentement. J'augmentai encore un peu la ventilation pour réchauffer mes pieds gelés et bâillai nonchalamment. L'automne venait tout juste de débuter, mais le froid s'était déjà installé dans la Vallée de l'Aube.

Au détour d'un énième virage, je plissai les yeux pour enfin apercevoir ce que je désespérai de trouver : une station-service. Celle-ci semblait tout droit sortie des années soixante. Je m'emparai du pistolet de l'une des deux seules pompes, et m'attelai à remplir le réservoir de mon 4x4 dangereusement vide.

Les rayons du soleil qui perçait à travers les branches dansaient sur le bitume de la route déserte. Captivée, je suivis du regard le balai de la lumière.

En tant que photographe, j'étais capable de repérer en un clin d'œil les plus belles heures, celles qui apportaient l'éclairage parfait, qui rendaient les clichés uniques.

Le jour déclinait déjà, et les ombres que projetaient les arbres centenaires filtraient suffisamment les rais de lumière rasantes. Si j'avais eu une photo à faire, c'est à cet instant que mon doigt aurait appuyé sur le déclencheur.

Le claquement du pistolet me sortit de mes rêveries, et je m'empressai d'attraper mon appareil. Le cliché d'une station-service ne me servirait à rien pour mon travail, mais j'aimais parfois avoir une approche plus artistique de mon activité. Mon disque dur était bourré d'images dont je ne ferais jamais rien, mais qui retraçaient mon parcours à travers tous les pays que j'avais traversés. Deux ans de voyages, d'errances, d'aventures : la façon dont je considérais mon mode de vie variait indubitablement avec mes humeurs.

Je passai la sangle de mon appareil sur mon épaule, attrapai mon portefeuille dans ma besace en cuir et me dirigeai vers la modeste boutique. Une clochette tinta à mon entrée, et un petit homme bedonnant m'accueillit avec un hochement de tête.

— Un café, et une boîte de biscuit s'il vous plait, lui demandai-je après l'avoir salué.

Il se contorsionna derrière son comptoir en formica blanc pour saisir le carton que je lui désignais, et me servit un café filtre en souriant.

— Vous n'êtes pas du coin, n'est-ce pas ?

Je lui adressai un sourire gêné en faisant non de la tête, en espérant ne pas l'encourager dans sa discussion.

— Vous êtes en voyage ? insista-t-il.

— Non, pas vraiment. Vous connaissez un hôtel dans le coin ? tentai-je de détourner maladroitement la conversation.

— Y'a bien l'Utopie, à Aston. Vous savez, y'a pas beaucoup de touristes dans la vallée. Vous devriez y être avant la nuit, le froid tombe vite ici.

Je réglai mon plein d'essence et mes achats en le remerciant.

Il contourna péniblement son comptoir, et me raccompagna jusqu'à la porte de sa boutique comme il l'aurait fait avec de vieux amis.

— À bientôt mademoiselle, peut-être à Aston !

Je le saluai d'un signe de main en traversant le parking et ne put m'empêcher de lui rendre son sourire : cet homme avait le sens de l'accueil.

Le Range Rover démarra dans un bruit sourd, et j'enclenchai la marche arrière pour me réengager sur l'axe principal.

Les haut-parleurs crachaient un nouveau morceau : Black Dog*. Mes doigts battaient distraitement la mesure sur mon volant. J'avais écouté cette compil' une bonne centaine de fois, ainsi que les trois autres dans ma boîte à gants. Elles avaient toutes été créées par Axel, l'un de mes deux frères aînés, il y a des années de cela. C'était les seuls souvenirs que j'avais emportés en quittant mon foyer. J'avais eu le nez fin, car la radio de mon 4x4 n'avait jamais voulu fonctionner. Malgré leurs rayures, les CD continuaient de diffuser les musiques qu'Axel préférait, des morceaux chantés par des rockers à la voix éraillée et aux riffs endiablés. Le genre de musique qui faisait grincer ma mère des dents.

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