C'était ma deuxième journée au bar. Comme Ted me l'avait proposé, j'étais venu la veille pour les aider. Ma participation au service était la bienvenue, car avec les tours de garde qu'imposait la situation, l'un ou l'autre des deux frères étaient souvent absents. Ce n'était que pour quelques heures, mais ça m'occupait et me permettrait d'avoir un revenu, aussi minime soit-il.
L'incident avec Matt remontait à plus d'une semaine, et nous n'avions aucune trace du loup solitaire. Robin ne voulait pas relâcher sa vigilance, mais j'espérai qu'il ne repose jamais une patte sur le territoire. Je ne savais pas si cette situation durerait longtemps, mais c'était étouffant. C'était comme si la meute entière retenait son souffle. En plus, la neige s'était remise à tomber, il y avait près de cinquante centimètres de poudreuse sur les trottoirs de la ville.
Le coup de feu du déjeuner était passé, j'étais en train de servir les derniers cafés. Jared était derrière le bar, son frère ratissant les montagnes de long en large avec Robin.
Je ramassai une assiette de frites vide, et me dirigeai vers les cuisines en souriant. Travailler entourée de tant de gens me faisait le plus grand bien. J'avais l'esprit complètement concentré sur toutes les tâches que j'avais à accomplir, je passais d'une table à l'autre et papotais poliment avec les clients. J'avais déjà retenu la totalité des plats que préparait Jared — uniquement des snacks à manger sur le pouce —, et tout le monde semblait ravi des prestations que Chez Ed pouvait offrir. J'avais enfilé ce matin mes baskets blanches et un jean près du corps, et je travaillai en t-shirt étant donné la chaleur qui se dégageait de la grande cheminée et les allers-retours que je faisais. Une fois n'était pas coutume, je m'étais légèrement maquillée et relevé mes cheveux en une haute queue de cheval. Je voulais faire la meilleure impression possible, hors de question qu'un des deux frères ait à se plaindre de moi.
— Alex ? m'interpella le barman alors que je franchissais la porte battante pour rejoindre la salle. Tu peux amener ça à la quatre ?
Je me saisis de l'addition qu'il me tendait et me glissai entre les chaises pour atteindre celles du fond.
— Merci, me dit la femme mûre alors que je déposai le carnet sur sa table. Vous êtes nouvelle à Aston ?
Depuis mes débuts au bar, j'avais sans cesse ce genre de questions. Comme si les habitants n'avaient jamais vu des étrangers. Mais leur curiosité n'était pas malsaine. Ils étaient juste heureux de rencontrer quelqu'un de nouveau.
— Oui, je suis arrivée il y a quelques semaines, répondis-je dans un sourire en frottant mes mains sur mon tablier.
— Vous êtes courageuse de venir vivre ici à cette époque, ce n'est pas la plus facile, s'esclaffa-t-elle en faisant allusion à la neige qui continuait de tomber. Où habitez-vous, si ce n'est pas trop indiscret ?
Ça l'était. Mais elle n'était pas la première à me poser la question, et je me voyais mal envoyer balader les clients du bar. En plus, la moitié des résidents de la vallée le savaient déjà.
— J'habite chez Robin.
Je ne pris pas la peine de situer sa maison, ou même d'ajouter son nom de famille. Tout le monde le connaissait.
— Ah ! Merveilleux ! En grand gaillard comme lui a besoin de quelqu'un pour lui réchauffer son lit, me dit-elle avec un clin d'œil.
L'audace de certaines personnes me surprendrait toujours. Ils avaient tellement l'habitude de former une communauté à Aston qu'ils avaient parfois du mal avec la vie privée.
Avec un sourire gêné, je la saluai en prétendant un plat à qui allait refroidir et m'éclipsai.
Je passai derrière le bar alors que Jared encaissait un ouvrier au comptoir, et me servit un verre d'eau.
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WilkołakiAlexia vit avec son deuil depuis plus d'un an. Pour tenter d'anesthésier la douleur, elle a pris la route et finance sa vie de vagabonde grâce à ses photographies. Alors qu'elle se rend dans la Vallée de l'Aube pour les cascades, elle rencontre Robi...