Commissariat central de Lyon 1er Juillet - 13:00

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Si les bureaux du commissariat central, situés au 40 de la rue Marius Berliet, faisaient penser à ceux d'une multinationale, l'immense hall qui accueillait le public mélangeait la beauté d'une architecture classique avec la modernité des équipements technologiques et mobiliers. La salle d'attente ressemblait à celles qui pouvaient se trouver dans des cabinets d'avocats ou des succursales bancaires. Le mobilier, les peintures accrochées aux murs et même la lumière clamaient presque exagérément leur appartenance au nouveau siècle.

Tristan Abalon, journaliste emblématique du Courrier Lyonnais, patientait en compagnie d'une jeune femme habillée à la mode gothique ainsi que d'un adolescent accompagné de ses parents pétris d'angoisse. Chacun s'était installé à un angle de la pièce, commandé par le besoin de garder pour lui les raisons de sa présence ici. La jeune femme hagarde semblait perdue. Seule la musique que diffusait son baladeur faisait par moments osciller son corps hâve et maigre. Le journaliste paraissait quant à lui à son aise. Concentré sur des notes qu'il avait tirées de son cartable marron tanné par les ans, on aurait pu croire qu'il attendait son tour pour entrer dans le cabinet de son médecin pour une banale consultation. Rien sur son visage ou dans ses gestes ne laissait présager les vraies raisons de sa présence, une convocation dans une affaire de meurtre. Dix minutes qu'il ne vit pas passer s'écoulèrent encore avant que son nom fût prononcé par un gardien de la paix. Il était arrivé avec un peu d'avance et, une minute avant treize heures trente, il fut accompagné au bureau du commandant Vinet dont il se disait ici qu'aucun de ses rendez-vous n'avait souffert de la moindre minute de retard.

Malgré son assurance, Abalon fut pris d'une gêne inexplicable lorsqu'il pénétra dans le bureau de la fonctionnaire qui, avec un mélange mal déterminé de politesse et de froideur, venait de l'inviter à s'asseoir après l'avoir salué. Hélène Vinet se dévouait entièrement à son travail qui, outre les conditions matérielles de son existence, lui apportait tout ce dont elle avait besoin pour structurer sa vie. Elle pouvait y exercer à bon escient ses talents particuliers, au premier rang desquels sa mémoire si peu commune qui rendait inutile tout calepin, agenda ou mémoire de téléphone portable. Par ailleurs, les proverbiales lourdeurs de l'administration que décriaient souvent ses collègues étaient pour elle un canevas sur lequel son travail trouvait parfaitement sa place. Entrée par la petite porte de la maison, elle ne devait qu'à son talent et son caractère, qui l'avait pourtant souvent desservie, d'occuper son poste de commandant.

— Monsieur Abalon, n'est-ce pas ? fit-elle en ouvrant une chemise beige qui contenait quelques feuillets parmi lesquels une lettre.
— Oui, c'est moi, répondit-il avec assurance.
— Est-ce que vous avez une pièce d'identité ?
— Bien sûr, tenez, fit-il en lui tendant son permis de conduire.
— Très bien, vous pouvez le reprendre.


Vinet marqua un temps d'arrêt en parcourant le fin dossier qu'elle avait sous les yeux puis reprit :

— Monsieur Abalon, il y a seulement un an, je ne vous aurais sans doute pas convoqué, car contrairement à une idée répandue, la police ne donne généralement pas suite aux accusations faites par lettre anonyme, à moins qu'elles ne soient étayées par d'autres éléments tangibles, mais la politique du pays a changé et je dois maintenant prendre en compte celle que j'ai sous les yeux.
— Tellement de choses ont changé ces derniers temps, inspectrice. répondit-il avec un peu de provocation.
— On ne dit plus inspectrice, monsieur Abalon. On dit commandant. Cette lettre vous accuse de faits très graves. répliqua-t-elle en observant sa réaction.

Mais devant son impassibilité, elle poursuivit.

— Je ne vais pas tourner autour du pot. Il s'agit ni plus ni moins d'une accusation de meurtre.
— En effet, c'est grave. répondit Abalon avec aplomb.
— Ça n'a pas l'air de vous effrayer beaucoup.
— Que voulez-vous que je vous réponde ? Je ne compte plus les lettres de menace que j'ai reçues au cours de ma carrière. On m'a plusieurs fois promis la mort, on n'a pas hésité à menacer ma famille et pourtant, il ne s'est jamais rien passé. J'imagine que celui qui vous a envoyé cette lettre doit être comme tous mes anonymes correspondants. Tout ça, ce ne sont que des mots, vous ne croyez pas ?
— Peut-être. Je vous le dis sincèrement, si nous sommes amenés à nous revoir, vous constaterez que je suis toujours franche, je n'aime pas les lettres anonymes. La police non plus d'ailleurs. Elles sont souvent le fait d'une vengeance et ceux qui les écrivent sont rarement complètement innocents des faits qu'ils dénoncent. Mais mon travail m'oblige à les prendre en compte et c'est la raison de votre présence.
— Alors, qu'attendez-vous de moi ?
— Vous savez, ce premier entretien n'est que pure routine. À moins que vous n'avouiez le meurtre dont ce courageux anonyme vous accuse, vous repartirez libre dans moins d'une heure. Mais vous n'allez pas avouer ce meurtre, n'est-ce pas ?
— De quoi parle-t-on ? Si quelqu'un a été tué, puis-je savoir de qui il s'agit ? Pouvez-vous me dire quand cela s'est passé ? J'aurais peut-être un alibi, comme on dit.
— Eh bien, pour l'instant nous n'en savons rien. Nous avons juste cette lettre qui nous dit que vous avez tué une femme et qu'on vous a vu emporter son corps.
— On ?
— Je sais monsieur, ce papier ne nous mène pas bien loin et vous n'êtes pas accusé de quoi que ce soit.
— Est-ce que je peux lire cette lettre ?
— Je n'en ai pas le droit, mais elle ne contient rien de plus que ce que je viens de vous dire. Est-ce que vous vous connaissez des ennemis, des gens qui pourraient vous en vouloir assez pour nous envoyer ceci ?
— Madame Vinet, vous connaissez mon métier. Je ne sais pas si vous avez déjà lu certains de mes articles...
— Si monsieur. Je connais votre travail.
— Bien. Vous savez alors qu'il doit y avoir bon nombre de personnes qui ne s'émouvraient pas trop de me voir en prison. Pourtant, de là à commettre un meurtre et m'en accuser... je ne crois pas que la pratique soit si répandue.

— C'est une piste comme une autre. Je me devais de vous le demander. Comme je vous le disais, notre entretien n'est que pure routine. Les choses doivent être faites suivant une certaine procédure, vous comprenez. Mais je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Je vais vous raccompagner. Si j'ai de nouvelles informations, vous serez averti.

De toute évidenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant