Commissariat central de Lyon Bureau du commandant Vinet 24 août - 17:00

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À la seconde même où Abalon s'écroulait sur le sol, son avocat pénétrait dans le bureau du commandant Vinet. Attachée plus que tout à faire éclater la vérité, elle avait convoqué Levier pour lui faire part des progrès de son enquête ainsi que la loi l'exigeait. L'avocat nourrissait de nouveaux espoirs grâce à la piste qu'il allait proposer au commandant Vinet. Leur volonté commune se traduisait dans le ton qu'ils employaient.

— Je vous remercie d'être venu, Maître Levier.

— C'est bien normal, madame. J'apprécie que vous me teniez informé si régulièrement des progrès de votre enquête, bien qu'ils aient été jusqu'ici dommageables à mon client. La plupart de vos collègues se contentent de m'envoyer leur rapport et les copies des pièces du dossier par la poste.

Malgré ses difficultés relationnelles, Hélène Vinet accepta le compliment avec plaisir. Elle fut gênée et ne sut que répondre. Elle détourna le regard vers son tableau.

— J'ai de nouvelles informations très importantes à vous communiquer. reprit-elle sur un ton plus froid.

— Très bien. J'espère seulement qu'il s'agit de bonnes nouvelles pour mon client. répondit l'avocat en conservant un ton chaleureux.

— C'est bien possible, en effet.

Le commandant Vinet lui tendit une copie du rapport envoyé par la police scientifique ainsi qu'une transcription de l'interrogatoire du pirate.

— Nous avons découvert que l'ordinateur de votre client était infecté par une sorte de virus qui permettait à son créateur d'en prendre le contrôle. Grâce à lui, il pouvait même voir et entendre votre client au moyen de la caméra intégrée.

L'avocat fut si désarçonné par cette révélation qu'il lui fallut quelques instants de réflexion avant de pouvoir répondre.

— Ça veut dire que... les lettres anonymes auraient pu être imprimées à distance.

— C'est possible en effet. Mais comme vous le lirez dans le rapport, nos experts n'ont trouvé la trace que des deux premières lettres dans le disque dur. Évidemment, il est techniquement possible que le pirate ait effacé toute trace de la troisième, mais pourquoi ne l'aurait-il pas fait pour les deux autres ? En tout cas, même si ces lettres n'ont pas été écrites par votre client, la présence de ce virus n'explique quand même pas tout, car même si le pirate les avait imprimées à distance, il fallait qu'il vienne les récupérer, ce qui suppose une intrusion dans les locaux du journal.

— C'est vrai, vous avez raison. fit l'avocat circonspect. Mais ce n'est pas impossible.

— Non, ce n'est pas impossible.

— Et ce pirate, l'avez-vous trouvé ?

— Oui, Maître. Non seulement nous l'avons trouvé, mais en plus nous l'avons interpellé. Les minutes de son interrogatoire figurent dans le dossier que je vous ai remis.

— Et alors, est-ce qu'il a avoué ? fit l'avocat excité par cette nouvelle inattendue.

— Oui, il a avoué. répondit mécaniquement Vinet. Mais le plus important, c'est que nous savons qu'il agissait pour le compte d'un ou une commanditaire. Est-ce que le nom de John Feller vous évoque quelque chose ?

— Bien sûr ! C'était le meilleur attaquant d'Arsenal. Ça fait un bon moment maintenant. Mais quel est le rapport ?

— Eh bien, d'après les informations que le pirate nous a fournies, il se pourrait bien que ce soit lui le commanditaire. Est-ce que vous croyez que votre client le connaît ?

— Je pense bien ! Pourtant, je suis sûr qu'ils ne se connaissent pas, sinon il me l'aurait dit. Mais franchement, je ne vois pas pourquoi un type comme lui irait faire espionner l'ordinateur d'un journaliste. Si mon client travaillait pour L'Équipe, je ne dis pas. Plaisanta Levier.

Hélène Vinet détestait le sport et si elle connaissait le nom du célèbre journal sportif, elle n'en avait jamais lu la plus petite ligne.

— Pourtant, nos informations sont fiables. Il y a forcément un rapport.

— Pardon, mais vous m'avez parlé d'un ou une commanditaire.

— Oui. C'est peut-être quelqu'un de l'entourage de ce... joueur de... de quel sport au fait ?

— De foot, madame. répondit l'avocat avec un air d'étonnement qu'il ne put dissimuler.

— Oui, ce sont les déclarations du pirate qui me laissent penser qu'il peut s'agir d'un de ses proches. Il nous a dit que sa cliente était une femme qui cherchait à se justifier par le fait que votre client lui aurait fait du mal.

— Abalon, faire du mal à une femme ? Vous ne le connaissez pas.

— C'est pourtant ce qu'il a dit. Ça pourrait être une histoire d'amour qui se serait mal terminée, une collègue évincée, quelqu'un qui se serait senti calomnié par un article de votre client.

— Ça fait trente ans qu'Abalon vit avec la même femme et... Levier demeura silencieux quelques instants avant de faire le rapprochement avec l'enquête menée par Daumet. Est-ce que vous croyez qu'on peut en vouloir assez à quelqu'un au point de se venger trente ans plus tard ?

La vengeance était plus pour Hélène Vinet un concept qu'une réalité. Elle en connaissait les effets pour les avoir observés durant sa carrière, mais elle n'avait aucune idée sur la possible longévité de ce sentiment. Sa façon différente de ressentir lui avait fait admettre que chez tous ceux qui n'étaient pas comme elle, tout était possible.

— Rien n'est impossible. Je suppose que oui. Est-ce que vous pensez à quelqu'un en particulier ?

— Eh bien, j'étais aussi venu pour vous parler de faits étranges sur lesquels le directeur du journal a personnellement enquêté.

— Je vous écoute. reprit Vinet avec attention.

— Il y a trente ans justement, messieurs Daumet et Abalon ont causé un certain tort à une jeune fille...

Vinet calcula que les faits qu'allait relater l'avocat remontaient à 1980 et rapprocha cette date de celle qui composait l'adresse électronique du commanditaire. Elle fut déçue que, pour une seule année, cela ne corresponde pas.

— Continuez. fit-elle alors que l'avocat s'était interrompu.

— Je croyais que monsieur Abalon vous tout raconté.

— Il m'a juste dit qu'il avait fait la connaissance de votre patron au Lycée. Allez-y, poursuivez.

— C'est elle qui était entièrement responsable de ce qui lui est arrivé, mais ce sont eux qui ont tout révélé.

— Racontez-moi !

— Daumet et Abalon animaient le journal de l'établissement. C'est là qu'ils se sont connus. Un jour, une certaine Katy Presle a prétendu avoir été...

— Attendez ! interrompit Vinet. Vous avez bien dit Katy Presle ? Avec un K ?

— Oui, avec un K, mais pourquoi ?

— Vous avez dit que ça s'est passé il y a trente ans. Vous souvenez-vous précisément de l'année ?

— Non. Pas exactement. Je n'y étais pas, moi. Ça fait juste partie des légendes du journal.

— Est-ce que ça ne pourrait pas être 1981 ?

— Si... enfin peut-être. Je peux demander à monsieur Daumet si vous voulez.

— S'il vous plaît, oui.

L'avocat prit son téléphone et appuya sur une unique touche. L'instant d'après, il décrivit la tournure que prenait son entretien puis, devant l'impatience du commandant Vinet, il demanda en quelle année avait eu lieu l'affaire Pavlof.

— 1981 ! s'exclama-t-il d'un air victorieux.

— Je crois que c'est elle. lâcha spontanément Vinet.

Alors que l'avocat raccrochait, le téléphone de Vinet se mit à sonner.

— Commandant Vinet... vous êtes sûr ? L'enthousiasme qu'affichait son visage se transforma subitement en désarroi.

— Est-ce que tout va bien, madame ? demanda l'avocat d'un air inquiet.

— Non. Votre client vient d'être poignardé au ventre. Il est en route pour le CHU de la Croix-Rousse. Dans le coma !

De toute évidenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant