Maison d'arrêt de Lyon-Corbas 09 août - 21:15

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Abalon fit le vide dans son esprit. À l'intérieur de sa cellule, il n'y avait pas un bruit, mais il pouvait nettement entendre les télévisions de celles qui jouxtaient la sienne. Par chance, et bien qu'elle fût prévue pour deux, il n'avait pas encore de codétenu. Il appréciait cette situation uniquement due au fait que la maison d'arrêt venait d'ouvrir et se remplissait peu à peu. Il pouvait se concentrer pleinement sur son travail même si cela le privait de vivre l'expérience de la vie à plusieurs dans une cellule. Avec application, il sortit son carnet de bord et y inscrivit la date du jour. C'était déjà le vingt et unième qu'il passait sans Lise et Clotilde. Leur absence lui était de plus en plus insupportable. Il se plongea dans la lecture des pages précédentes pour échapper à ses tristes pensées, mais la photo de sa femme et de sa fille collée à même le mur le ramena aux temps heureux où il était libre. La tristesse et le remords le prenaient à la gorge. Il aurait voulu tout arrêter et rentrer chez lui. Il n'était ni maltraité ni torturé, il était nourri et disposait d'un lit décent. Il n'était enfermé que depuis trois semaines et il se sentait déjà brisé. Son enthousiasme initial lui semblait si lointain que c'était comme s'il n'avait jamais existé.

Ses yeux restaient fixés à la photographie comme un naufragé à une bouée. C'était lui qui l'avait prise dans leur jardin. Il ne se souvenait plus quand. Ça n'avait pas d'importance. Abalon pensa à elles comme jamais. Il regrettait de les avoir trop souvent reléguées au second plan. Il en payait à présent le prix. Une larme roula sur sa joue et s'écrasa sur son carnet. Il essuya la feuille cloquée. Le carnet lui rappela la raison de sa présence ici. Il fallait être fort et ne pas se laisser abattre. La situation allait forcément s'arranger et puis, en dernier ressort, il pouvait donner le nom de Marilou Lamet au commandant Vinet pour que tout s'arrête mais depuis l'apparition du cadavre, Marilou avait perdu son statut de joker.

Des éclats de voix lui parvinrent de la cellule de gauche. Abalon s'était rapidement aperçu que ses deux occupants étaient de caractère plutôt belliqueux et il appréciait d'autant plus la solitude de sa cellule. Il passa en revue les événements de la journée qui méritaient d'être notés. Il relata simplement sa discussion avec Jimmy, un détenu maigre et au regard perdu, avec qui il sympathisait depuis quelques jours, durant la période réservée aux activités. Le jeune homme — il venait de fêter son vingtième anniversaire — était visiblement malléable et son manque de discernement et de caractère lui avait valu la plupart de ses ennuis. La veille, il avait confié au journaliste qu'il ne savait pas lire. Au cours de la journée, Abalon avait tenté de le convaincre de suivre des cours d'alphabétisation et lui avait proposé de l'aider dans cette démarche. Depuis qu'il avait fait sa connaissance, il se sentait utile dans cet endroit où il n'y a rien à faire pour qui ne sait pas s'occuper par lui-même. En retranscrivant cela, il eut soudain l'idée de faire des fiches sur les différents aspects caractéristiques de la prison : les activités, la bibliothèque, l'enseignement. Il nota l'idée puis referma son carnet. Ensuite, il prit un livre et s'installa pour la nuit. Il espérait trouver le sommeil dans la lecture, mais en vain. Lorsqu'à vingt-trois heures les lumières s'éteignirent, il n'avait pas sommeil. Abalon ferma les yeux. Les visages de Lise et Clotilde lui apparurent.

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