Domicile d'Hélène Vinet 14 août - 07:15

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Hélène referma la porte de son appartement et consulta sa montre. Son besoin maladif de précision était l'un des symptômes de sa maladie. Pour qu'elle se sente bien, il fallait que sa vie soit rythmée autant qu'elle pouvait l'être. Avec le temps, elle était parvenue à un certain seuil de tolérance. Elle acceptait désormais que son bus ait quelques minutes de retard, mais pour tout ce qui dépendait uniquement d'elle, Vinet se conformait à un emploi du temps minuté.

Sept heures quinze. C'était l'heure exacte à laquelle elle aimait quitter son appartement. Autrefois, elle prenait l'ascenseur, mais depuis qu'il était tombé en panne et qu'elle était restée coincée en rentrant chez elle, elle y avait définitivement renoncé par crainte que cela se produise au moment de partir. Cela faisait plusieurs années qu'elle prenait l'escalier et c'était finalement une bonne chose pour elle, car la descente à pied était devenue une routine rassurante. Chaque matin, elle descendait les marches en les comptant. Chaque étage en comptait dix-huit, sauf le premier qui en avait vingt-deux. Cela faisait partie des choses qu'elle ne pouvait dire à personne. Compter les marches chaque matin et se sentir rassurée qu'il y en ait toujours le même nombre n'était pas une habitude que les autres pouvaient comprendre.

Une fois sortie, Hélène regarda de nouveau sa montre. Pour avoir plusieurs fois minuté son parcours, elle savait qu'elle avait sept minutes de marche pour rejoindre l'arrêt Duquêne-Foch. Elle serait donc arrivée à sept heures et vingt-cinq minutes. Elle n'était pas en retard.

Le bus de la ligne 36 était très ponctuel à cette heure-ci. Une fois assise, Hélène Vinet songea à sa journée et se plongea mentalement dans son travail. Déjà, toutes les questions irrésolues surgissaient dans son esprit. Elle espéra trouver des réponses rapidement. Elle pensa de nouveau à la troisième lettre qui était pour elle la clef de l'enquête. Sa conviction était que si elle en identifiait l'auteur, elle tiendrait le vrai coupable qui, dans son esprit, ne pouvait être Abalon, même si tous les indices recueillis jusqu'à présent l'accusaient farouchement.

Lorsqu'elle descendit du bus, elle dressa une liste de questions qu'elle poserait au directeur du journal qu'elle avait convoqué pour neuf heures. En premier lieu, elle comptait lui montrer la photographie de l'inconnue. Puis, si le laboratoire lui avait envoyé le résultat complet des analyses du cadavre, elle l'interrogerait sur son emploi du temps du jour du crime. Enfin, elle envisagea de récolter son ADN et si nécessaire, celui de l'ensemble des employés du journal. La science était pour elle une irremplaçable pourvoyeuse de preuves, car elle ne mentait pas, même si elle savait qu'aucune preuve technique n'était entièrement fiable. L'ADN lui-même ne permettait pas d'accabler ou au contraire de disculper de façon certaine un suspect. À présent qu'un certain recul sur cette technique existait, elle avait lu tous les rapports qui en pointaient les limites.

Rien n'était jamais certain à ses yeux. Les photographies, les vidéos montraient quelqu'un qui pouvait ressembler à un suspect, mais elles pouvaient aussi être le fruit d'une machination. Les aveux avaient trop de fois démontré leur relative fiabilité et le commandant Vinet savait très bien qu'après de longues heures de garde à vue, une personne privée de sommeil et de dignité était capable d'avouer n'importe quoi pour qu'on la laisse tranquille. Jamais elle n'utilisait cette technique, car peu lui importait qu'un dossier soit bouclé rapidement. Seule la découverte de la vérité l'intéressait. Sa hiérarchie lui avait plusieurs fois reproché de sortir de son rôle en cherchant des preuves qui pouvaient disculper le suspect le plus commode, mais peu lui importait.

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