Commissariat central de Lyon Bureau du commandant Vinet 11 août - 09:00

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Chaque jour qui passait apportait son lot d'indices contre le journaliste. Paradoxalement, les nouveaux éléments que le commandant Vinet venait de fixer sur son tableau renforçaient ses doutes. Le laboratoire avait établi avec certitude que les trois lettres avaient été imprimées sur l'imprimante d'Abalon. L'analyse approfondie du disque dur de l'ordinateur avait révélé que les deux premières, bien qu'effacées par leur auteur, y avaient laissé quelques traces. Cependant, on n'avait retrouvé aucun reste de la dernière qui était pourtant la plus récente. Vinet se demanda pourquoi le journaliste aurait pris davantage de précautions pour celle-ci avant de se rappeler que la lettre avait été imprimée alors que le journaliste se trouvait déjà en prison. Puisqu'elle avait bien été imprimée à l'aide de son imprimante, cela signifiait forcément qu'il avait un complice. Dans ce cas, celui-ci avait nécessairement accès au bureau du journaliste. Elle pensa en premier lieu au directeur à cause des liens anciens qui les unissaient. Elle nota dans sa mémoire illimitée qu'elle le convoquerait prochainement pour voir si cette hypothèse était plausible.

Vinet songea ensuite qu'elle avait peut-être commis une erreur en n'effectuant pas une fouille plus approfondie du bureau. S'il y avait un complice, celui-ci avait peut-être laissé un indice de son passage. Mais elle relativisa cette hypothèse car si, comme c'était le plus probable, il s'agissait d'un employé du journal, il n'y aurait rien d'anormal à ce qu'on découvre des preuves de sa présence autour de l'imprimante. Le regard fixé sur les lettres qui n'avaient pas encore tout dit, Vinet se tenait immobile face à son tableau lorsqu'elle entendit frapper son collègue. Sans même détourner le regard, elle lui dit d'entrer.

Pavier arborait un sourire jovial que rien ne semblait pouvoir effacer. Il entra, le cœur joyeux. La certitude de tenir le coupable l'émoustillait. C'était la seconde affaire qu'ils allaient résoudre ensemble. L'apparente irréfutabilité des preuves qui pesaient sur Abalon ne faisait pas naître le moindre doute dans son esprit. Au contraire, tant d'évidences ne pouvaient qu'attester cette certitude : le journaliste était coupable.

— Bonjour Hélène, comment allez-vous ?

— Bien Grégoire, et vous ? répondit-elle mécaniquement.

— Je viens de lire le rapport sur le disque dur. Entre ça et ce que l'on a retrouvé chez lui, il n'y a plus de doute.

Hélène le regarda et lui adressa un petit sourire pincé. Elle comprenait que tout lui paraisse si limpide. Une image lui apparut pour exprimer la différence entre leurs points de vue. Elle vit Grégoire marcher sur le chemin sinueux de la vérité alors qu'il ne pouvait voir que ce qu'il y avait dans son immédiate proximité. Il ne savait rien de ce qui se trouvait au-delà du prochain virage. Elle, au contraire, voyait une carte. Avec bien plus de hauteur que lui, elle appréhendait un large périmètre. Lorsqu'il croyait être devant une évidence, elle savait qu'une impasse l'attendait au prochain détour.

Sa maladie l'avait largement assez fait souffrir, particulièrement au moment de l'adolescence. Toutes ces différences qu'elle ne pouvait pas cacher étaient autant de sujets de moqueries. Personne, hormis ses parents et les médecins qui la suivaient, ne pouvait la comprendre. Décalée du monde, ingénue et dramatiquement honnête, la jeune Hélène surprenait par son intelligence et surtout son infaillible mémoire. Même si ses camarades s'étonnaient de ses aptitudes extraordinaires, ils trouvaient toujours un motif pour la railler et lui jeter les injures les plus blessantes au visage. À présent, elle connaissait les codes sociaux et savait feindre la normalité. Les signes les plus dérangeants de sa maladie ne se remarquaient pratiquement plus. Comme si la vie voulait se faire pardonner, elle jouissait à présent des compensations que sa maladie offrait. Son caractère méticuleux et ordonné, pour ne pas dire maniaque, sa capacité à prendre en compte simultanément un grand nombre de paramètres dans un raisonnement, sa prodigieuse mémoire étaient d'inestimables atouts dans son métier. Hélène était incapable d'expliquer comment sa logique fonctionnait et elle savait que les autres ne pensaient pas comme elle. Aussi, elle comprenait très bien que Grégoire ne distingue pas encore les pièges de cette voie trop facile.

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