Commissariat central de Lyon Bureau du commandant Vinet 09 août - 10:00

0 0 0
                                    

Vinet était assise devant son tableau magnétique. Les nombreuses pièces qui y figuraient servaient de support à ses profondes réflexions. Elle attendait avec une impatience contenue de recevoir le rapport de l'IML. Au moins connaîtrait-elle avec certitude la cause du décès, mais aussi sa date précise, même si ces éléments étaient insuffisants pour faire progresser réellement son enquête. Depuis le début, elle ne parvenait pas à relier de façon rationnelle toutes les informations dont elle disposait. Ce qu'elle ne pouvait absolument pas comprendre, c'était l'obstination d'Abalon à révéler l'identité de la possible victime. Même s'il y avait entre eux une affaire sentimentale qu'ils voulaient garder secrète, son esprit logique ainsi que ses difficultés à appréhender les sentiments lui interdisaient d'observer la situation sous un autre angle que celui de la rationalité. Pour sa part, elle n'aurait pas hésité un seul instant à donner le nom de l'inconnue pour se disculper définitivement d'une accusation aussi grave que celle de meurtre.

D'autres éléments encore la déroutaient. L'apparente similarité entre les lettres lui semblait trompeuse. Après tout, elles avaient été imprimées sur la même machine et sur le même type de papier, ce qui laissait croire qu'elles étaient le fait d'un seul et même corbeau. Mais à y regarder de plus près, il y avait au moins un détail qui n'avait pas été éclairci depuis la seconde lettre. Vinet se souvenait parfaitement des deux enveloppes qui les avaient contenues. Si elles étaient physiquement identiques, la seconde mentionnait explicitement son nom, mais pas la première. Elle voulait comprendre pourquoi et examina de nouveau très attentivement les trois missives. Elle chercha des similitudes ou des différences dans le style, mais cela ne fut guère probant, étant donné le caractère laconique de chacun des messages. Elle releva que le second était formulé sur le mode interrogatif, au contraire des deux autres, mais cette observation ne menait sur rien de concret. Hélène Vinet compta le nombre de mots sur chaque page. Dix-huit, dix-sept, quinze. Cela avait-il le moindre sens ? Ses yeux ne quittaient pas les lettres, comme si elle avait la certitude qu'elle allait voir une évidence qui lui avait jusqu'ici échappé. Ils faisaient d'incessants aller-retour jusqu'à lui donner le tournis. Elle baissa un instant la tête puis, lorsqu'elle porta de nouveau son attention sur les lettres qui s'obstinaient à protéger leur secret, elle s'aperçut que la pliure des deux premières séparait les deux lignes du message. Dans la troisième au contraire, elle barrait la première ligne du texte. Elle constata alors que les deux premières lettres étaient pliées en trois tandis que la troisième n'était pliée qu'en deux. Pour en avoir le cœur net, elle prit les trois feuillets et les superposa. La lumière de sa lampe lui montra ce qui sautait aux yeux : les deux premiers textes commençaient nettement plus haut que le troisième qui s'étalait au milieu de la page. Il n'y avait peut-être rien à déduire de cette constatation. Cela pouvait être le fait du hasard ou bien d'une intention délibérée. Dans ce cas, qu'est-ce que cela signifiait ? Vinet demeura perplexe. Elle songea aussi, tout en doutant de cette hypothèse, que la troisième lettre pouvait être l'œuvre d'un second dénonciateur, ce qui rendrait son enquête encore plus compliquée.

Plongée dans ses pensées, elle n'avait pas entendu l'alerte sonore qui indiquait l'arrivée de nouveaux messages. Une minute plus tard, Pavier frappa à la porte. Elle lui fit signe d'entrer au travers de la vitre.

— On vient de recevoir le compte-rendu de l'IML, vous avez vu ? fit le stagiaire en brandissant une feuille imprimée.

Elle jeta un œil sur son écran.

— Non, je ne l'avais pas vu.

À une allure qui étonnait toujours Pavier, elle parcourut le document. Maintenant, elle savait que la victime était morte étranglée sur le lieu où elle avait été trouvée et qu'on avait mis le feu à son corps post-mortem.

— Vous aviez raison. félicita Pavier. Elle a bien été brûlée après sa mort.

Hélène n'en tira pas la moindre gloire. Elle essayait à présent de visualiser la scène du crime. Le rapport donnait d'autres détails qui lui permirent de s'en faire une idée plus précise. On avait retrouvé des traces de corde autour des poignets et la victime portait un chemisier en polyester ainsi qu'une jupe en coton. Elle était blonde, mesurait un mètre soixante-douze, ses yeux étaient bleus et elle devait peser environ cinquante-cinq kilos avant d'être brûlée.

— Vous allez pouvoir restreindre le champ de nos recherches sur les personnes disparues. fit Vinet, satisfaite de disposer enfin de nouveaux éléments. On a aussi reçu les mandats de perquisition. Vous avez vu ?

— Non.

— Je crois qu'on va avoir une journée riche en découvertes. Est-ce que vous voulez bien regarder si on a du monde de disponible ?

Pavier pianota sur l'ordinateur du petit bureau.

— Deux personnes. Ça suffit ?

— Ça ira. On va d'abord au journal. La femme d'Abalon ne travaille pas le mercredi, je crois. On ira la voir après.

— D'accord. fit le stagiaire qui avait l'impression d'avoir participé à la décision. Je préviens les collègues.

De toute évidenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant