Commissariat central de Lyon Bureau du commandant Vinet 18 août - 10:00

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Exceptionnellement, le commandant Vinet n'arriva pas à l'heure habituelle à son bureau. Un peu plus tôt, un accident de la route était survenu alors qu'un conducteur avait percuté une voiture après avoir brûlé un feu rouge. Par chance, ni le chauffard ni la victime n'avaient été blessés, mais les deux véhicules étaient complètement immobilisés au beau milieu du carrefour. Les colonnes de direction étaient tellement faussées qu'en dépit de leurs efforts, ils ne purent les déplacer. Malheureusement pour Hélène Vinet, l'accident s'était produit juste devant son bus et le chauffeur n'avait évité la collision que d'extrême justesse. Immédiatement, Vinet était sortie vérifier l'état de santé des deux accidentés puis, lorsqu'elle vit qu'ils étaient déjà sortis pour s'invectiver, elle appela ses collègues. Elle n'avait aucune intention de régler ce différend et se contenta de les séparer après leur avoir montré sa carte de police. Lorsque, quelques minutes plus tard, deux policiers en tenue arrivèrent sur place, elle leur relata brièvement les faits et passa la main. Hélène estima qu'il se passerait trop de temps avant qu'une dépanneuse arrive. Pour contrarier le moins possible son emploi du temps, elle estima qu'il valait mieux se rendre à pied au commissariat. Elle évalua la distance restante, le temps que cela lui prendrait et calcula son heure probable d'arrivée.

Vingt-cinq minutes de retard. Vingt-cinq minutes de retard. Hélène ne cessait de répéter ces mots tout en marchant aussi hâtivement que possible. Chacun de ses pas la rapprochait du commissariat, mais cela lui paraissait interminable. Rapidement, elle fut saisie par l'angoisse et ne fut plus capable de raisonner. Peu importait qu'elle arrive à huit heures ou huit heures trente, car personne ne lui demanderait le moindre compte. Pourtant, ce contretemps l'ébranlait terriblement. Tout s'en allait, plus rien n'était à sa place. Elle vivait la pire crainte des Aspergers, celle d'être confronté à l'imprévu. Bien des fois, elle s'était répété que cela pouvait arriver, mais cela n'avait servi à rien. À mesure qu'elle marchait, son rythme s'accélérait, si bien qu'elle en fut bientôt à courir. Chaque minute, elle regardait sa montre et comptait le retard rattrapé. Finalement, après deux kilomètres d'une course effrénée, elle arriva essoufflée au commissariat. Son visage rouge et hébété interpella son collègue préposé à l'accueil du public.

— Est-ce que ça va ? l'interrogea-t-il un peu inquiet.

— Bonjour. coupa Vinet qui était incapable d'engager la moindre conversation.

Puisant dans ses dernières ressources, elle monta les escaliers quatre à quatre puis ouvrit la porte de son bureau avec un inhabituel empressement. Elle reprit sa respiration et consulta une énième fois sa montre. Quatorze minutes de retard sur son horaire habituel. Sa course insensée lui avait permis de reprendre onze minutes à l'adversité. Peu à peu, la vue de son environnement familier, son bureau, l'ordinateur, le tableau, la rasséréna. Lorsqu'elle n'entendit plus son cœur battre sa tempe, elle alluma son ordinateur et jeta un premier regard sur le tableau comme elle le faisait chaque matin. Cela ne servait à rien d'autre que la rassurer, car ce n'était qu'un rituel dont elle n'avait même pas conscience. Vers neuf heures trente, elle reconnut le cognement de Grégoire sur la porte de verre. Ce jour n'était décidément pas comme les autres, car pour une fois, elle tourna son regard vers lui et lui fit signe d'entrer. Le jeune stagiaire était sûrement celui qui la connaissait le mieux, bien qu'il eût juré le contraire si on le lui avait demandé. Personne ne s'était jamais lié à cette collègue mystérieuse et insaisissable. Même son chef, à qui elle avait décrit du mieux qu'elle le pouvait le mal dont elle souffrait, ne s'était pas rapproché d'elle. Avec lui comme avec tous les autres, elle n'avait jamais entretenu que des rapports professionnels. Grégoire était différent. Bien sûr, Hélène était totalement incapable de définir cette différence, mais elle pouvait la ressentir. Ses propres émotions demeuraient souvent une énigme et celles des autres seraient pour toujours indéchiffrables. Pourtant, elle voyait dans son regard et entendait dans sa façon de lui parler quelque chose de différent. C'était indescriptible et cependant rassurant, comme s'il lui voulait du bien.

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