Maison d'arrêt de Lyon-Corbas 06 août - 13:30

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Lorsque Lise Abalon arriva sur le parking réservé aux visiteurs, elle songea en regardant autour d'elle qu'il était impossible de confondre cet endroit avec un autre. Le goudron était d'un noir anthracite, comme s'il avait été étalé la veille, et les marques qui délimitaient les places striaient le sol avec une imposante régularité. Les lampadaires étaient différents de ceux que l'on trouvait en ville et ressemblaient plutôt à ceux qui bordent les terrains de football. Hormis la voie d'accès pour les véhicules, il n'y avait qu'un passage prévu pour les piétons qui menait vers le bâtiment destiné à l'accueil des visiteurs. Celui-ci était bordé de barrières hautes d'un mètre, peut-être destinées à canaliser le flux de personnes venues rendre visite à un proche. Mais elles avaient certainement une fonction psychologique inavouée : celle d'habituer les visiteurs aux grilles et portes qu'ils allaient devoir franchir dans l'enceinte du bâtiment.

Lise sortit de sa voiture et prit la main de sa fille. Tout était neuf et pourtant désespérément triste. Il n'y avait pas un arbre, pas la moindre pelouse ni le moindre parterre de fleurs. Le bâtiment vers lequel elles se dirigeaient n'offrait qu'une palette de gris, du plus clair au plus terne. Lise partageait l'avis de son mari sur les prisons françaises et elle se disait en marchant qu'il y avait sans doute une foule de petites améliorations à apporter qui, mises bout à bout, offriraient à la prison un visage plus humain.

Clotilde ne comprenait pas la situation. La veille, sa mère lui avait appris que son père était en prison et qu'elles iraient le voir le lendemain. Jusqu'ici, elle avait prétexté qu'il était parti quelques jours pour son travail. La fillette marchait tristement vers le bâtiment. Clotilde était inquiète depuis qu'elle avait demandé à sa mère quand son père allait rentrer. Lise avait esquivé la question en répondant simplement « bientôt ». Qu'est-ce que cela voulait dire ? Les adultes employaient ce mot pour parler d'une heure ou bien de plusieurs jours.

Pour chasser son angoisse, Clotilde harcela sa mère de questions jusqu'à ce qu'elles se présentent au guichet. « Qu'est-ce qu'il a fait papa ? » « Il a été arrêté par la police ou les gendarmes ? » « Est-ce qu'il est avec des méchants, en prison ? ». Il en coûtait déjà beaucoup à Lise d'emmener sa fille dans cet endroit et les questions de Clotilde accentuaient son mal-être. Effrayée par ce lieu et pleine de ressentiment envers son mari, elle réprima difficilement ses larmes lorsqu'elle fut questionnée par la femme située derrière le guichet.

— Bonjour madame, qui venez-vous voir ?

— Abalon. Tristan Abalon. répondit Lise, la gorge nouée.

La fonctionnaire s'aperçut immédiatement que c'était pour elle la première fois, mais elle n'eut pas un mot de réconfort. Depuis toutes ces années qu'elle exerçait ce métier, l'empathie l'avait quittée depuis longtemps. Elle n'était pas devenue insensible, mais le temps lui avait douloureusement appris qu'elle ne pouvait pas, à elle seule, supporter le poids de la détresse de tous ceux qui passaient devant son guichet. Le mieux était de suivre la procédure qui était justement faite pour que les agents n'aient pas à s'impliquer personnellement.

— Numéro d'écrou ? interrogea-t-elle en connaissant par avance la réponse.

— Numéro d'écrou ? Je ne le connais pas. Fit Lise décontenancée.

Il en était toujours ainsi les premières fois. Les visiteurs se figurent rencontrer un être humain avec un nom et un prénom, mais l'administration pénitentiaire a la charge de détenus à qui l'on donne, par souci d'efficacité, un numéro.

— Il figure sur le permis de visite. Est-ce que vous avez votre permis de visite ?

— Oui, attendez, il est dans mon sac. Un instant...

De toute évidenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant