Chapitre 15 - Comment dompter le démon ? Part. 2

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— Et maintenant ? l'interrogé-je, suspicieuse.

Il m'attire vers lui avec aisance et pose l'une de ses mains dans le creux de mes reins et l'autre un peu plus haut sur mon dos. Je ne lève pas mon regard vers lui et émets un râle qu'il ne peut qu'avoir entendu. Il n'en fait cependant pas mention et me maintient contre lui. Je sens mes pieds décoller du sol et tente de regarder en dessous de moi. Je bouge légèrement mes jambes qui brassent l'air en même temps que les ailes de Magnus.

— Reste tranquille, me murmure-t-il.

J'ai l'impression que je vais tomber dans le vide. Il m'est cependant impossible de m'agripper à l'incube qui me tient telle une plume dans une position peu probable.

Il finit par se poser en hauteur sur un espèce de balcon en pierre dans un coin de l'immense salle, qui ressemble étrangement à un théâtre. Il me libère de son emprise et je m'avance vers le bord. Les plafonds me semblent très élevés. Je jette un coup d'œil au vide abyssal avant de reculer, peu à l'aise.

— Impressionnant, n'est-ce pas ?

— Pas du tout ! J'ai l'habitude de me faire emmener sur des balcons par des créatures ailées qui sentent bon l'Azzaro !

Une grimace agacée d'aimer ce parfum se lit sur mon visage bien trop expressif. J'apprécie l'odeur de Magnus. Quelle horreur !

— On dirait que tu as les mêmes goûts que Nova... me balance-t-il avec amusement.

— Ne m'insulte pas, je te prie ! rétorqué-je. Tu m'as emmené ici, pourquoi ? Me jouer une scène digne de Shakespeare ?

— Roméo est un crétin qui se tue en croyant que l'amour de sa vie est mort. Là, c'est toi, qui m'insulte. Il me semble que son altesse voulait voler hier, non ?

Je ne suis plus certaine de le vouloir aujourd'hui. Je ne suis plus certaine de rien, d'ailleurs. Pourquoi ma vie ressemble à une parodie de Vampire Diaries ?

— C'est vrai, ajouté-je, désignant mon dos du doigt. Mais je ne sais pas comment les faire apparaître.

— Je suis là pour ça, ma chère et tendre. La méthode ne va sûrement pas te plaire cependant.

— Ne me dis pas que tu vas me pousser du nid ? Je ne suis qu'un oisillon sans défense.

— Pire que ça, répond-il solennellement. Et permets-moi de douter du « sans défense ».

Je l'observe avec appréhension. Sans avoir le temps de réagir, Magnus m'agrippe les poignets et les serre entre ses mains puissantes.

— Tu me fais mal, marmonné-je.

— Pas plus que la douleur psychologique que t'as infligé Callum, n'est-ce pas ?

— Ne me parle pas de Callum ! pesté-je, prête à sortir mes griffes.

Il me lâche et soutient mon regard avec froideur.

— Si, on va en parler, princesse. Je t'avais prévenue à son propos. Tu t'en souviens ? Si je ne lui ai pas encore arracher les boyaux, c'est seulement parce que tu m'as demandé de ne pas le faire. As-tu changé d'avis ? Tu n'as qu'un mot à dire et je m'occupe de lui.

— Ne le touche pas ! le menacé-je, alors qu'il tente de se rapprocher de moi. C'est si facile que ça de tuer pour toi, hein ?

— Non, mais parfois la mort est la seule solution. Je parle en connaissance de cause. Je vis depuis longtemps, et je connais bien mieux les berserkers, les démons et les humains que toi.

— Magnus, ce grand sage... Tu es pathétique, démoniaque et sans âme ! Je ne sais toujours pas pourquoi je tente de te faire confiance ! Tu ne peux rien m'apporter ! Tu n'es rien ! Rien qu'un démon répugnant !

— Un démon répugnant ? Comme ta petite copine démone illusionniste qui bosse avec toi. Comme ton horrible démon de père ! Ce qui fait de toi... Un être tout aussi abject... Tu as sans doute raison. Et c'est d'ailleurs probablement pour cette raison que tout le monde t'as abandonné ! C'est pour cette raison que personne ne veut de toi, mon poussin. Ni Callum, ni les autres chasseurs, ni les humains. Ni même ta mère et ta petite sœur !

La flèche invisible lancée par Magnus s'est plantée dans mon cœur. Je sens les larmes frapper à la porte et ma gorge se nouer. Je serre les poings, essayant de refouler l'incendie qui se propage dans tout mon corps.

« Tout le monde finira par t'abandonner quoi qu'il arrive. Il n'y a strictement rien à aimer chez toi ! »

Ses paroles finissent d'achever la transformation : tout mon être abdique et laisse place à mon apparence de succube. Je me jette sur Magnus et le plaque contre le mur avec rage, prête à le démolir.

— Bonjour Mademoiselle Hyde. Docteur Jekyll devenait un peu ennuyeux, se moque-t-il.

Je recule en me rendant compte qu'il a tout planifié : me mettre en colère pour activer ma métamorphose est une solution. Je mets un moment pour reprendre totalement mes esprits.

— Abruti !

— Merci... Je savais que ça marcherait, mais on trouvera une solution moins radicale pour maîtriser tes pouvoirs. Prête pour une leçon de vol ?

— Je suis là pour ça.

— Tu fais le grand saut toute seule ou tu veux que je te tienne la main ?

— Passe juste devant pour me montrer l'exemple et je te suis.

Je me sens plus apaisée et fais de la place à l'incube pour qu'il me montre la voie. Le visage impassible, il passe à côté de moi et se met debout sur la rambarde avec aisance. Il me jette un dernier regard.

— On se retrouve en bas, ma beauté !

Il se laisse tomber dans le vide et je l'aperçois en train de voler majestueusement. Je suis fascinée par les mouvements de ses ailes et l'observe un instant avant de me décider à monter sur la rambarde à mon tour, beaucoup moins dans mon élément. Magnus se pose au sol avec élégance et je redresse la tête pour regarder devant moi.

Respire... Tu peux y arriver, Athalia.

Je déploie mes ailes lentement. Mauvaise élève, je n'ai même pas pris la peine d'étudier l'envol de mon mentor. J'hésite. Je respire. J'inspire. Je respire. J'inspire. J'hésite encore.

— Lance-toi ! Je te rattraperai si tu tombes ! Sauf si tu me traites encore de démon dégoûtant qui ne sert à rien, me crie-t-il avec sarcasme.

Me lancer ? C'est parti ! Non non. Je ne peux pas !

Finalement, je n'ai pas à me décider. Mes baskets en toile glisse sur la pierre et je tombe à la renverse. Je crois que je vais me manger le sol, mais au lieu de ça, je sens mes ailes me porter comme si je ne les contrôlais pas, comme si elles étaient dissociées de mon corps. Ce qui n'est évidemment pas le cas.

Je plane au dessus de Magnus et apprécie le voyage de courte durée, qui me procure une sensation de liberté incommensurable. De courte durée, oui. Car mon corps change d'apparence en plein vol, retrouvant mon apparence humaine. J'ai l'impression que mes organes remontent jusque dans ma gorge alors que je ferme les yeux, prête à mourir à Externae, au Morpheum, en compagnie de mon pire ennemi. La vie est ironique, parfois.

Odd AmethystOù les histoires vivent. Découvrez maintenant