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Dimanche 11 Juin, 3 h 34, Paris XIIIe.

J'ai su que je devais disparaître le jour où j'ai appris que j'étais enceinte.

J'avais passé la soirée et une partie de la nuit à fumer et à boire dans la meilleure chambre d'un hôtel bas de gamme du XIIIe arrondissement, ignorant les coups de fil répétés d'un de mes clients, qui se trouvait être aussi ma sœur. J'avais mis un film au hasard, parmi le trillion de Blu-ray que contenait ma bibliothèque, achetés en lot pour que mon appartement fasse moins vide. Je m'en étais emparé avant de fuir ce studio étouffant, lors d'une fête donnée par ma patronne. Je venais de lui faire gagner un millième procès et, avec ça, la réputation d'être intouchable. Le film s'appelait Itinéraire d'un enfant gâté, c'était un long-métrage français et il reflétait parfaitement mon état d'esprit.

L'écran de mon smartphone s'est encore allumé et j'ai décidé de m'en débarrasser. J'aimais beaucoup l'idée que ma mère ne sache absolument pas où je me trouvais et je l'imaginais en train de pincer les lèvres, cette expression fissurant son éternel masque imperturbable. Je l'imaginais ordonner sèchement à ma sœur de me remettre la main dessus et à ses chiens de garde de tracer mon téléphone. Ils allaient avoir du mal, puisque je venais de le balancer par la fenêtre et qu'il avait atterri dans la remorque d'un camion en route vers un chantier. Ils allaient bien s'amuser à me poursuivre, tiens.

Comme je n'avais pas envie de songer à ce qui allait m'arriver quand ils me remettraient finalement la main dessus, ce qui serait inévitable, si je restais terrée ici, j'ai roulé ma cinquième cigarette en me resservant une rasade de whiskey single malt.

Je ne sais pas si c'était le fait que Belmondo ait trouvé le courage de simuler sa mort et de disparaître aux yeux de tous, mais j'ai reposé la clope sur la table basse, chopé le test de grossesse qui y patientait et je me suis dirigée vers les toilettes en jurant.

Ça a été les 5 minutes les plus longues de toute ma vie. Je suis restée assise sur le siège, fixant obstinément le bâtonnet, ne voulant pas y croire quand une seconde barre est apparue. Pourtant la notice spécifiait que les faux positifs étaient impossibles.

J'ai rejeté la tête en arrière et poussé un autre juron. Je suis sortie des toilettes, ignorant la cigarette qui m'attendait fidèlement et mon verre de whiskey à moitié vide que je ne finirais pas. J'ai fouillé dans une poche secrète de mon sac à main, poussant négligemment le 9 mm qui s'y planquait et j'ai saisi mon second smartphone, celui que j'utilisais pour contacter une seule personne. Ma mère ne connaissait pas son existence et ne pourrait pas tracer l'appel. Du moins, c'est ce que j'espérais.

À la TV, on venait de découvrir le radeau de survie dans lequel Belmondo ne se trouvait pas.

J'ai composé l'unique numéro enregistré et attendu que Camille réponde.

— Tiens ! Une revenante ! s'est-elle exclamée en décrochant à la seconde sonnerie. Que me vaut l'honneur de cet appel ?

— Ta gueule, je suis dans la merde.

— Ça te fera 200 balles. Ça tombe bien, il me manquait tout juste cette somme pour m'offrir une petite robe qui me faisait envie, aux Galeries Lafayette...

Je me suis passé une main sur le visage, refoulant un autre gros mot, plus fleuri que les précédents. Camille était une joueuse de poker diabolique et, quand on l'affrontait, on devait s'attendre à être plumé. Une fois, je n'avais plus rien à enchérir et elle m'a proposé un deal : si je perdais la manche, je serais forcée de lui donner 100 euros à chaque fois qu'une grossièreté sortait de ma bouche. J'étais complètement éméchée et blessée dans ma vanité, alors j'avais accepté. Grossière erreur. Ça faisait deux ans, et Camille gagnait mieux sa vie grâce à ce pari stupide qu'avec son boulot à la morgue et son association avec la famille McAllister réunis.

— Camille, je suis en cloque.

Il y a eu un long silence au bout du fil puis elle a répondu avec une petite pointe de sarcasme, son arme favorite :

— Ah. Félicitations ? Je suppose que Dona doit être ravie. Elle qui rêvait certainement d'être grand-mère...

— Elle n'est pas au courant. Tu es la première à qui j'en parle.

— Très honorée. Qui est le père ?

— Bastian. Je pense.

— La vache, meuf, quand tu te mets dans la crotte, tu fais pas semblant, pas vrai ?

Je me suis laissé glisser contre le mur, le désespoir se frayant doucement un chemin jusqu'à mon cœur, pourtant bien barricadé.

— Il faut que tu m'aides... ai-je murmuré.

Cette fois-ci, Camille a répondu sur un ton plus doux que les précédents.

— Raska, je découpe des macchabées, je ne procède pas à des avortements. Si tu veux, je peux te donner une bonne adresse. Je suis sûre que ta mère n'y verra aucun inconvé...

— Je ne veux pas avorter, Camille. Je veux le garder.

— ... nient. Ok, d'accord. Je comprends. Tu es foutue. Ta mère va te tuer, tu le sais, ça ?

— Ouais. Et c'est pour ça que j'ai besoin de ton aide.

— Ah ouais, tu veux vraiment ma mort en fait.

Je me suis humecté les lèvres, mon genou tressautant de lui-même, l'estomac en boule. J'ai regardé l'écran de la télévision, qui diffusait toujours l'histoire de ce type super riche qui décidait de simuler sa propre mort, puis le sac de sport rempli de billets de banque, argent que j'avais retiré progressivement au fil des ans, comme si je savais inconsciemment que j'allais finir par en avoir besoin. Mes yeux ont glissé sur l'autre valise, celle qui contenait quelques effets personnels, que j'avais empaquetés la veille. J'ai réalisé que j'avais pris cette décision depuis un sacré bout de temps, même si je ne l'avais pas reconnu jusqu'à maintenant.

— Raska ? m'a relancée Camille, légèrement inquiète.

— Non, je ne veux pas ta mort, ai-je poursuivi, la voix rauque. Mais je veux que tu m'aides à organiser la mienne.

Il y a eu un nouveau silence, puis j'ai entendu Camille déposer des objets sur ce qui semblait être une surface métallique.

— De quoi as-tu besoin ?

On a cold Nebraska nightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant