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Deux heures plus tard, la troupe rentra au palais. Ethel se rendit dans ses appartements, suivi d'Ash, et s'assit sur son immense lit, un petit sourire aux lèvres. Il se déchaussa, alors que son serviteur restait debout à côté du rideau, impassible. Il avait encore l'odeur enivrante des bois dans les narines et le soleil paraissait encore caresser sa peau. Cette chasse avait été des plus agréable, tant pour le loup en lui, que pour ce qu'elle avait été ; une escapade rafraichissante en compagnie du prince.

— Ash, appelle un servant, que je puisse passer une tenue convenable. Reviens ensuite, il me faut te mettre au courant de certaines choses.

Il hocha la tête et sortit de la chambre, pénétrant dans le petit salon et se dirigea vers la clochette dorée qui était reliée par un jeu de fils à celle de la loge des domestiques. Il l'actionna deux fois, selon le code d'appel du prince Ethel, et bientôt le jeune garçon à son service entra dans les appartements. Ash l'invita à rejoindre la chambre royale et lui emboîta le pas.

Alors que le garçon aidait le prince à s'habiller d'une tenue plus conventionnelle que ses habits de chasse, le capitaine de la garde détourna les yeux. Ethel commença à lui parler et Ash comprit qu'il s'agissait de la discussion privée qu'il avait eue avec son père, plus tôt dans la journée.

— Il désire inviter les demoiselles nobles au palais, afin de me trouver une fiancée. Vois-tu, il estime qu'il est temps de me préparer un peu plus à la succession. Je partage son avis. Et je compte sur toi pour m'aider. J'ai foi en ton jugement.

— Je vous remercie, Altesse. Permettez-moi alors de vous prodiguer un conseil : il serait temps pour vous d'apprendre à plus sourire, Altesse, glissa Ash.

— Au contraire. Je choisirai celle qui me fera sourire, rétorqua Ethel avec un rictus au coin des lèvres.

*

La Cour était surexcitée. Aujourd'hui allait avoir lieu un procès présidé par le Roi lui-même. Les couloirs bourdonnaient de conversations, de suppositions ; qui était l'accusé ? quel était le motif de l'accusation ? Ce devait être important pour avoir lieu devant le souverain. Beaucoup de nobles pariaient pour un procès surnaturel. Tous avaient hâte d'y assister, pour voir de leurs propres yeux une créature du diable.

Ash tâchait, lui, d'ignorer ces médisances. Il marchait comme à son habitude, prolongé par sa cape sombre, le regard droit. Il se rendait aux appartements princiers, car Ethel allait assister lui aussi au procès aux côtés de son père.

Le prince l'attendait, vêtu de beaux habits étincelants de fils d'or. Ses yeux ambrés n'en ressortaient que plus intensément. Ash se porta à ses côtés et ils se rendirent vers la salle du trône, silencieux. Le prince n'appréciait pas ces événements, mais il les savait nécessaires pour maintenir l'ordre dans le royaume. Même s'il réprouvait cette excitation malsaine qui prenait tout le palais.

Ash, lui, priait pour que le procès se déroule rapidement. Il détestait ces longs instants où l'accusé, souvent innocent des crimes dont on l'accablait, voyait son destin abrégé de la pire des façons. Il s'agissait selon lui plus d'un spectacle, d'une torture psychologique que d'un procès. Et tous connaissaient le jugement avant même que cette mascarade commence.

Les deux hommes finirent par arriver devant les immenses portes ouvragées de la salle du trône. Le garde les annonça et ils pénétrèrent dans la pièce. Pour l'occasion, des gradins et des sièges avaient été installés de part et d'autre d'une allée centrale, que suivirent le prince et le capitaine afin de rejoindre le roi. Assis sur son trône, Sa Majesté Eirik Olsen de Jasulem porta son regard bleu sombre et perçant sur son fils qui inclina la tête. Derrière lui, Ash salua son roi bien bas.

Le prince rejoignit sa place, à la droite du roi, et s'assit sur la haute chaise de bois laqué aux coussins rouge sang. Majestueux, comme toujours, songea Ash, qui se tint debout en retrait, prêt à le protéger, dans son ombre. Il passa le regard sur les dalles noires et les nobles murmurant dans les gradins, les yeux luisants. L'impatience fébrile qui les agitait le contamina, se transformant en un profond mal-être.

— Bien, tonna le roi, faisant taire tous les murmures de la Cour. Faites entrer l'accusé !

Les portes s'ouvrirent et on amena un homme enchaîné. Ses guenilles sales et son regard apeuré témoignaient de son origine modeste. C'était un homme du peuple.

Lorsqu'il fut agenouillé, un des conseillers du roi lut les accusations. Ash eut un coup au cœur et porta un regard attentif sur l'homme enchaîné.

On l'accusait d'être un changeforme, une espèce surnaturelle proche des loups-garous. Kami — c'était son nom — était accusé de se transformer en hybride homme-chien. Il errait dans les ruelles basses de la capitale lorsque la garde l'avait trouvé.

Mince, le corps couvert de cicatrices, il devait avoir la vingtaine, peut-être vingt-cinq ans. Ash ressentit encore une fois de la peine... Il était si jeune. Il n'avait probablement pas commis de crime et vivait caché. Comme la plupart des créatures surnaturelles, en réalité. Mais voilà, le roi avait décrété qu'ils étaient une menace. Ash avait conscience de vivre sur un mince fil, tel un funambule. Le moindre écart le ferait couler dans le néant. Il serait probablement exécuté pour haute trahison, en plus de sa nature lupine.

Il reporta son attention sur Kami, qui tentait visiblement de se défendre face aux accusations. Il expliquait qu'il ne faisait rien de mal et qu'il était humain, parfaitement et complètement humain.

Mais il mentait. Ash le savait. Une odeur de chien émanait de son corps, ainsi qu'une aura surnaturelle faible, mais bien présente. Une particularité qui lui vaudrait certainement l'emprisonnement à vie, car même si personne dans cette assemblée ne pouvait la détecter formellement, le simple fait d'être accusé devant le roi conduisait à la culpabilité. Personne n'était sorti libre de ce type de procès.

Kami n'était pas dangereux. Ce changeforme était un exemple parfait d'une personne née surnaturelle, sans l'avoir choisi et qui n'avait rien commis comme crime... Mais qui finirait dans les geôles du palais du roi de Jasulem. Ash serra les dents.

Le regard brun de l'homme chercha la compassion dans celui du souverain, implora sa pitié, en vain. Il passa au prince, mais ce dernier suivait l'avis paternel, la mine impassible et le regard lointain. Soudain, il croisa un regard gris, derrière l'héritier, un regard étrange et résigné, un regard différent. Ces yeux étaient emplis de regret, de pitié, d'injustice muette. Des sentiments inespérés pour le changeforme.

Ash cligna des paupières lorsqu'il se rendit compte que l'homme le fixait. Cela ne servait à rien de lui insuffler un espoir vain. Il serait condamné. Alors le capitaine détourna son visage et entendit résolument la sentence tomber dans les murmures ravis de la Cour spectatrice. Il n'y eut aucune surprise.

Kami était condamné à moisir dans les geôles pour le restant de sa vie.

Le prince et le loup (finie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant