Ash était sur des gardes après l'arrivée de cette étrange Dame. Elle ne sortait pas de son esprit.
Les quelques prétendantes qui suivirent furent aussi insipides que les précédentes, aucune ne se remarquait. Le Prince avait l'air ailleurs et Ash se demanda s'il pensait lui aussi à Dame Edalyna. Si tel était le cas, il allait devoir ouvrir l'œil, même si le fait qu'elle sente le loup n'en était pas la raison en soi. C'était plus la dangerosité qui avait émané d'elle qui inquiétait Ash. Bien évidemment, le fait qu'un parfum lupin l'ait accompagnée ajoutait un paramètre qu'il ne devait pas négliger.
En vérité, Ash n'avait jamais côtoyé ses semblables, hormis sa mère durant les premières années de sa vie. Il ne connaissait rien aux relations sociales entre les loups et ne pouvait que supposer que tous étaient semblables à lui.
Une légère curiosité vint se frayer un chemin dans son esprit. Comment était-ce, de rencontrer un autre loup-garou ?
Il se reprit bien vite, cependant. Si un tel être était entré au palais du roi de Jasulem, ce devait être pour une bonne raison. Tout le monde savait que le souverain enfermait ou condamnait à mort tous les êtres surnaturels, supposés ou avérés, qui croisaient son chemin.
Or, Ash ne voyait pas d'autre raison pour un loup de pénétrer dans le palais que nuire à la famille royale ou libérer un prisonnier.
— Ash, je vais rentrer dans mes appartements, je suis exténué, lui souffla le Prince en laissant tomber son sourire de façade. Ce soir a lieu le festin de bienvenue, je me dois d'être en forme. Tu devras m'y accompagner alors prends peut-être un peu de repos si tu es fatigué, cela durera toute la nuit.
— Bien sûr, Altesse.
Ethel hocha la tête et tourna les talons vers la porte, qui s'ouvrit d'elle-même grâce aux gardes qui y stationnaient. Ash les salua brièvement en suivant son protégé.
Alors qu'ils cheminaient en silence dans les couloirs dallés, des bruits de pas précipités leur parvinrent et Ash se retourna, alerte. Un jeune page s'arrêta devant eux et reprit quelques inspirations, avant de bomber le torse.
— Sa Majesté le Roi vous demande dans la salle du Conseil, Messire Ash.
Un frisson se propagea dans son dos. Il détestait les tête-à-tête avec le souverain, mais il semblait qu'il ne puisse guère y échapper. Il ferait son possible.
Prenant congé du Prince, Ash rebroussa chemin, ralentissant consciencieusement sa respiration. Il avait eu plusieurs entrevues avec le roi Eirik depuis son arrivée au palais et lorsqu'il était enfant, il était tout simplement terrifié face à cet homme au regard déterminé, sur son siège haut, si haut par rapport à son petit corps d'enfant. Sa voix était grave et dure, sèche, elle n'avait rien à voir avec celle de Dryt'waru et l'avait effrayé.
Avec le temps, il avait appris à ne plus avoir si peur, mais était arrivée la réalité des condamnation du roi. Il avait appris ce qui arrivait aux êtres comme lui et avait développé une peur plus viscérale, mêlée d'une colère froide qu'il prenait soin de cacher derrière son visage impassible à l'expression soigneusement travaillée. Désormais, il craignait le roi tout en le haïssant, plus encore depuis sa décision de changer la vision des choses du Prince pour que les êtres pourchassés aient le droit de vivre.
Ses pas étaient fermes sur le sol. Il arriva devant la porte de la salle du Conseil et s'annonça aux gardes. Ces derniers ouvrirent les battants et Ash put entrer dans la pièce.
Immense, au plafond haut et décoré de boiseries raffinées, la salle du Conseil était presque aussi impressionnante que la salle du trône. Des chandeliers accrochés aux murs diffusaient une clarté chaude et vacillante sur les multiples parchemins épars sur les tables longues dressées le long des murs. Ash savait que tous ces manuscrits décrivaient des stratégies guerrières, des voyages de par le royaume et des hauts-faits accomplis par les souverains de Jasulem au fil du temps. Une véritable montagne de savoir se trouvait dans cette pièce garnie de bibliothèques, mais ce n'était rien comparé à la véritable bibliothèque du palais, où les ouvrages de botanique côtoyaient les légendes des royaumes du monde et les pensées philosophiques. Ash n'avait jamais trouvé aucun livre sur les êtres surnaturels, sans surprise.
Lorsqu'il aperçut le roi sur son siège à haut dossier, altier dans ses fourrures légères et ses bijoux brillants, Ash sentit tout le poids de son regard sur lui. Le roi le détaillait à présent minutieusement, comme s'il le jugeait apte à une tâche qu'il désirait lui confier. D'un rapide coup d'œil, Ash sut qu'aucun garde n'était présent, mais qu'un homme se trouvait camouflé derrière une colonne. Son odeur très légère lui parvenait. Un espion sûrement, chargé d'intervenir si Ash tentait quelque chose contre le roi. Le souverain désirait sans doute qu'Ash croie qu'ils étaient seuls et que le roi lui faisait confiance. Cette stratégie acheva d'inquiéter le capitaine de la garde, qui n'en montra rien.
Ash s'inclina profondément et attendit que le monarque lui adresse la parole.
— Ash. Le fidèle serviteur d'Ethel.
Le concerné se redressa légèrement et joignit ses mains dans son dos, le menton bas en signe de déférence. Il le camouflait, mais ses épaules étaient crispées et son cœur martelait sa poitrine avec force, comme s'il voulait s'en extirper pour fuir cette entrevue. Le roi passa une main sur sa barbe fournie et posa son regard bleu sombre, acéré, sur le jeune homme qui se trouvait devant lui.
— Ash. Depuis que tu es un enfant, tu as montré la plus grande loyauté au Prince et à ce royaume. Tu es un bretteur exceptionnel et un capitaine de garde exemplaire. Tes capacités assurent à mon fils une protection sans défaut.
Ash parvint à masquer sa stupéfaction. Où voulait en venir le roi ? Cette avalanche de compliments n'avait rien d'habituel. Le souverain était réputé pour son exigence et sa sévérité, aussi bien envers les conseillers, les gardes que ses propres enfants. Ash avait la désagréable impression que le roi Eirik essayait de l'acheter. Mais dans quel but ?
— Je ne pouvais donc m'adresser à personne d'autre que toi pour cette mission délicate, poursuivit-il. Vois-tu, des sources m'ont informé qu'il existe une possibilité pour qu'une des jeunes demoiselles arrivées aujourd'hui soit un être monstrueux. Sa présence ici ne peut signifier qu'une chose : cette créature désire attaquer le royaume. Je crains, par-dessus tout, pour la vie de mon fils.
À cette phrase, le roi observa Ash. Il savait que l'idée qu'Ethel soit en danger ferait son effet sur son protecteur. Quant au jeune capitaine, il essayait de ne pas réagir aux qualificatifs peu élogieux dont le roi accablait ses semblables. Il repensa fugitivement à Dame Edalyna. Était-elle déjà repérée ?
— Hélas, je ne peux envoyer mes hommes habituels pour enquêter, cela jetterait un trouble sur cette période de festivité et perturberait les rencontres entre le Prince et ses prétendantes. Cela est crucial pour la stabilité du royaume. Le Prince ne doit pas être informé de la possibilité qu'une des jeunes femmes soit un monstre. Il est important qu'il fasse connaissance avec ces dames dans une ambiance favorable. De plus, si la présence d'une créature était confirmée, cela mettrait en doute la sécurité du palais. Je suis certain que tu le comprends, étant toi-même responsable de la sécurité.
Ash sut alors la raison de sa présence. Il se raidit violemment.
— Ash. Je connais ta valeur. Toi seul peux accomplir cette mission que j'aimerais te confier. Je voudrais que tu démasques l'intruse, s'il y en a effectivement une, et que tu mettes cette affaire au clair. Use de subtilité, enquête dans le palais, interroge les servantes, fais ce qui sera nécessaire.
Le roi marqua une pause. Ash avait l'impression qu'une chape de plomb l'empêchait de respirer. Lui, démasquer son semblable ? Le livrer aux geôles ?
Une nausée le prit. Il ne voulait plus avoir de sang sur ses mains. C'était parfaitement égoïste, mais il ne voulait plus envoyer à la mort des gens qui lui ressemblaient. Il avait décidé d'œuvrer pour délivrer ses semblables. Et voilà que le roi lui demandait — ordonnait, en réalité — de mener à la mort, de ses propres mains, un être qui pourrait être son frère, sa sœur, son cousin, sa cousine.
— Puis-je compter sur ton aide pour protéger ce royaume et mon fils ?
Ash était piégé. Il n'avait pas le choix. On ne refusait pas d'obéir au roi si l'on tenait à la vie — et Ash ne voulait pas mourir, ni devoir fuir.
Les mots qui sortirent de sa bouche lui coûtèrent tant qu'une violente nausée lui remonta la gorge.
— Comme toujours, votre Majesté. Je ferai selon vos désirs.
Il sentait déjà la chaleur moite d'un liquide vermeille couler sur sa peau.
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Le prince et le loup (finie)
FantasíaPour qui a le malheur de naître différent, il n'existe qu'un espoir : se cacher. Car à Jasulem, le surnaturel est traqué sans relâche... Ash, lui, a échappé à ce destin en devenant le plus proche ami du prince Ethel, cachant ainsi sa véritable nat...