Le temps passa et le printemps fleurit aux alentours de la capitale de Jasulem. Les bourgeons naquirent, la bise rapportait le doux parfum des lilas et la Cour s'affairait. Une drôle d'effervescence se propageait dans les couloirs du palais, les esprits chauffaient et les regards suivaient le prince où qu'il aille. Les jeunes filles se recoiffaient, s'aspergeaient à outrance des eaux de toilette les plus onéreuses et minaudaient. Leurs mères les poussaient à attirer l'attention du prince et leurs tentatives ridicules ne récoltèrent que des sourires polis et des pirouettes habiles ; Ethel les esquivait avec finesse, sous le regard amusé d'Ash. Toutes ces pintades qui paradaient ne l'avaient jamais intéressé, ce n'était pas avec quelques gouttes d'extrait de fleur des champs et deux coups de pinceau qu'elles y arriveraient soudainement.
Mais les serviteurs s'activaient plus que jamais ce matin-là. Des cuisines montaient des senteurs appétissantes d'épices et de viande qui rôtissait. Les femmes de chambre préparaient les ailes secondaires du palais, lavaient les draps, les parfumaient de lavande, passaient un coup de plumeau méticuleux. Ash évoluait au milieu de cette agitation avec agilité, esquivant quelques coups de balais dans les tibias et les seaux d'eau savonneuse qui menaçaient de se renverser sur ses vêtements. Il serrait les pans de sa cape contre lui du mieux qu'il pouvait.
Enfin, il parvint devant les appartements princiers. Il s'annonça de quelques coups sur le battant et entra, s'immobilisant comme à son habitude au centre du salon. La voix du prince lui parvint depuis l'autre côté du rideau, là où se trouvait sa chambre.
— Ash, sais-tu à quelle heure précise arrivent les premiers invités ?
— Ces demoiselles seront là d'ici midi, Altesse. Il vous reste quelques heures. Cependant, on vous attend dans la salle du trône, votre père a demandé à vous parler.
— Bien.
Ethel émergea du rideau, vêtu de ses habits de cérémonie. Le bleu roi dominait, sur sa tunique comme sur son pantalon, tous deux coupés dans de riches étoffes. Quelques liserés dorés et broches décoratives rehaussaient les vêtements, faisant ressortir la couleur ambrée des yeux du prince. Ses mèches noires retombaient sur son front, coiffées à la perfection. La peau pâle d'Ethel, signe évident de noblesse, ajoutait à la lumière qui irradiait de lui, véritable aura princière. L'épée de cérémonie, cachée dans son fourreau serti de pierreries scintillantes, battait sa hanche.
— Comment me trouves-tu ?
Le loup crut sentir son cœur rater un battement. Il se reprit pourtant, évitant de songer à cette pensée qui l'avait traversé et qui clamait que cet homme était magnifique.
— Vous êtes parfait, Altesse, ces dames seront ravies, déclama-t-il avec un sourire en coin. Elles se jetteront sur vous...
— Ne dis pas de bêtises, Ash, rit Ethel en s'avançant vers la porte, le dépassant. Allons, il ne faudrait pas faire attendre mon père.
Ils sortirent, s'enfonçant dans l'agitation générale de cette journée qui, ils ne le savaient pas encore, s'annonçait riche de rebondissements...
*
Les sourires polis du prince trompaient tout le monde présent dans cette salle immense, sauf Ash. Lorsqu'Ethel souriait vraiment, ce n'étaient pas simplement ses lèvres qui s'incurvaient ; ses yeux pétillaient, son visage se détendait et rayonnait. Son garde du corps le savait bien pour l'avoir vu esquisser de tels sourires durant la majorité de leur enfance commune.
Face à toutes ces jeunes filles — jolies, pour la plupart —, Ethel n'affichait qu'un sourire de façade, et distribuait des baisemains avec si peu d'attention qu'Ash envisagea de lui glisser quelques mots. Bien vite cependant, il avait remarqué que la plupart des demoiselles ne s'en rendaient pas compte, trop occupées à dévorer l'héritier des yeux — pour sa beauté ou son statut, cela variait. Il décida donc de ne rien dire et resta en retrait, détaillant les personnes qui défilaient avec son regard de soldat. Il devait garder à l'esprit qu'un assassin pouvait se cacher sous les habits d'un serviteur venu apporter un présent au prince de la part d'un duc inconnu ou d'un baron des provinces reculées.
Il observait donc attentivement les invités qui pénétraient dans le palais. La plupart ne retenaient pas son attention ; ils n'avaient pas d'aura particulière, son instinct ne voyait aucune menace en eux. Mais, alors que la file des demoiselles commençait à se raccourcir, il aperçut s'avancer une jeune femme différente des autres. Elle portait les mêmes robes raffinées, les mêmes rubans de satin, avait un visage harmonieux et un regard intelligent. Cela n'aurait pas dû l'alerter, elle ressemblait à toutes les prétendantes, ou presque. Mais une voix lui soufflait à l'oreille que cette femme était étrange. Elle avait une aura magnétique, elle attirait les regards. Elle captivait. Lorsqu'elle leva gracieusement la main pour que le prince la prenne, Ash imagina facilement, entre ses longs doigts effilés, une dague mortelle.
La dame se présenta comme Dame Edalyna, la fille d'un noble qui vivait loin de la capitale, dans les montagnes qui formaient la frontière du royaume. Ses gestes prouvaient qu'elle avait reçu une éducation raffinée, tout comme ses paroles polies et sa voix douce, travaillée.
Son regard sombre détailla le Prince rapidement, comme si elle n'y prêtait pas réellement attention ; mais Ash vit qu'elle avait tout retenu. Elle avait observé Ethel en une seconde, de la tête aux pieds, d'un œil vif sans en avoir l'air. Une légère tension naquit dans les épaules du garde du corps alors qu'il ne laissait pas paraître son trouble sur son visage. Il s'inclina alors que la Dame prenait congé en se dirigeant vers ses appartements. Une suivante arrivée avec elle lui emboîta le pas et elles disparurent de leur vue.
Une drôle d'odeur perdura toutefois sur leur passage et Ash fronça les sourcils. Impossible de déterminer de qui cela venait, de la Dame ou de sa servante, mais ce parfum lui rappelait son enfance dans la forêt.
Cette senteur, il la connaissait. C'était...
Il crispa ses doigts sur le pommeau de son épée.
C'était l'odeur d'un loup.
VOUS LISEZ
Le prince et le loup (finie)
FantasiPour qui a le malheur de naître différent, il n'existe qu'un espoir : se cacher. Car à Jasulem, le surnaturel est traqué sans relâche... Ash, lui, a échappé à ce destin en devenant le plus proche ami du prince Ethel, cachant ainsi sa véritable nat...