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Les chevaux étaient nerveux. La jument grise d'Ash piétinait les herbes de ses sabots en piaffant.

Il la calma d'une main habile, alors que le prince Ethel faisait de même devant lui. Les gardes qui les suivaient avaient plus de mal, excepté quelques-uns qu'Ash voyait souvent aux écuries. L'escorte était formée d'hommes de confiance, de bons combattants, mais tous n'étaient pas des cavaliers doués.

Il soupira discrètement et suivit l'étalon du prince, qui s'enfonçait doucement parmi les troncs pour déboucher dans une clairière spacieuse, où les rayons du soleil éclairaient la végétation abondante. Les herbes et les fleurs champêtres couvraient le sol d'un délicat tapis odorant et le vent leur apportait aux narines ces belles senteurs. C'était un endroit paisible, chargé de souvenirs tendres mêlés de mélancolie. Quelques oiseaux prirent leur envol alors que les cavaliers avançaient. L'escorte s'arrêta à l'orée, laissant le prince et son protecteur progresser seuls.

Au centre de la clairière s'élevait une immense pierre de trois mètres de haut. L'une de ses faces avait été polie et aplanie, les rayons solaires faisaient briller les lettres d'or qui la couvraient. Le granit élégant avait été entouré de belles fleurs par dizaines. Le rose, le bleu et le jaune donnaient de la vie à ce monument funéraire.

Le prince mit pied à terre devant la stèle et s'agenouilla, laissant sa cape couvrir l'herbe derrière lui. Ash saisit la bride de l'étalon en silence et se posta à ses côtés après avoir attaché les montures non loin.

Les mains dans le dos, il lut pour la centième fois les mots gravés dans la pierre.

« Ci-gît Sa Majesté la Reine Jasmine Marielle de Jasulem, épouse du Roi Eirik Olsen de Jasulem, mère du Prince Ethel Nihil de Jasulem et de la Princesse Adeline Naïa de Jasulem. Elle s'est envolée de ce monde mortel pour un jardin éternel où toutes les fleurs murmurent sa beauté ; pas un seul jour les oiseaux ne cessent de chanter dans ce lieu béni où la dame repose ».

Ce texte avait été composé à la demande éplorée du sire veuf et cette tombe atypique avait été érigée dans la clairière où la reine aimait se rendre. De nombreux pique-niques s'étaient tenus sur cette herbe douce, Ethel avait couru vers les bras de sa mère sous les branches du beau saule qui veillait sur la pierre, se balançant légèrement dans le vent. C'était le seul endroit qui convenait à son ultime repos. Ash l'avait brièvement connue et s'en rappelait comme une femme douce et aimante, délicate et fière. Elle lui avait témoigné un peu de sa tendresse à son arrivée, décelant en lui une blessure incurable que l'on appelait le deuil. Il avait nourri beaucoup d'affection pour la reine, mais ne l'avait jamais considérée comme une mère d'adoption, ce qu'elle n'avait pas voulu devenir ; elle s'occupait de son fils et de sa fille, et l'ami d'Ethel était comme un neveu. Ash avait été évidemment affecté par son décès des suites d'une maladie, mais s'était bien vite repris pour soutenir Ethel et Adeline de son mieux. Il connaissait cette douleur et savait combien elle était profonde.

Des années plus tard, le prince venait encore souvent se recueillir sur sa tombe lorsqu'il prenait d'importantes décisions ou en ressentait l'envie.

L'imminence de ses fiançailles l'amenait une fois de plus devant sa mère, comme pour lui demander conseil. Les lèvres d'Ethel se mouvaient doucement alors qu'il lui parlait à voix basse. Ash refusa d'écouter cette conversation privée et inclina la tête, rendant hommage à la reine également. Lorsqu'il était enfant, il lui avait fait la promesse de veiller sur son fils ; la Dame avait souri en lui caressant la tête tendrement.

De longues minutes passèrent dans un silence reposant et solennel. Enfin, Ethel se remit debout et salua sa mère en s'inclinant, avant de remonter à cheval, muet. Un voile mélancolique recouvrait encore ses yeux d'ambre. Ash le suivit et lui porta toute son attention. Le prince levait souvent les yeux vers les cieux, comme s'il y voyait le visage de sa mère parmi les nuages blancs. Une soudaine fragilité venait alors émailler son charisme naturel. Ash ressentait le besoin impérieux de le protéger, de veiller sur lui comme sur un enfant de sa famille — de sa meute.

Le prince et le loup (finie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant