Chapitre 28 : Des précautions ?

1 1 0
                                    

La jument dévala la colline, l'écho lui renvoyait le bruit de ses sabots et perturbait le calme de cette aube à peine commencée. Alors qu'elle était à mi-chemin du ruisseau qui serpentait plus bas, un spasme la secoua. Son galop, d'habitude si fluide, en parut accéléré et saccadé. Elle atteignit finalement le cours d'eau et, dans le tourbillon de la précipitation, se métamorphosa. Elle avait à peine fini l'essentiel, négligeant sa chevelure qui n'avait même pas repris sa longueur normale, que de violents haut-le-cœur l'agitèrent. Quand elle se redressa après s'être rincé le visage, un loup au regard ambré se tenait à ses côtés. Un sourire sauvage dévoila ses canines étincelantes sous les premiers rayons et il se transforma.

"Alors Gwenaëlle, commenta-t-il, on ne se souvient plus des sorts de papa Fenris ? Ou c'est une nouvelle coiffure ?

- Ah, ah, ah, ricana la jeune femme, avant de grimacer à nouveau.

- En même temps, poursuivit Fenris, voilà une semaine que je te vois tous les matins dans cette posture.

Essoufflée, la mage ne répondit rien, se contentant de détourner la tête.

- Je dirai bien que c'est le changement d'alimentation, le stress ou la fatigue mais cela aurait dû arriver bien plus tôt... tu es sûre que tu n'as pas besoin que j'aille faire quelques courses ?

Deux yeux verts rencontrèrent les siens : 

- Ok, ok, soupira Gwenaëlle. Trouve ce que j'avais refusé il y a une semaine. Et cesse de prendre cet air victorieux ! cria-t-elle.

- Déjà, tu acceptes mon aide, c'est donc bien une victoire. En revanche, il existe certaines précautions...

- Avec mon métabolisme, ça ne peut pas être ça, le coupa-t-elle. Je n'ai cessé de me métamorphoser, même tout au long de l'été. J'ai simplement dû attraper un mauvais rhume, murmura-t-elle comme pour se rassurer.

- Je sais, la voix de l'elfe s'était adoucie. Mais la métamorphose n'est pas une science exacte. Je vais chercher ce qu'il te faut pour être fixée."

La jeune femme approuva d'un hochement de tête et l'elfe se téléporta. Elle s'assit alors contre un arbre et baissa la tête, masquée, protégée par ses cheveux. 

"Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ? songea-t-elle. Comme si c'était le moment de faire ce genre de projet."

Sachant qu'elle ne reverrait l'elfe que le lendemain matin et n'ayant guère envie des habituelles pousses d'herbe du petit déjeuner, elle se métamorphosa en quelques secondes et repartit immédiatement. Elle rejoignit le troupeau et les rassembla, se plaçant à nouveau à leur tête. Elle le guida hors de la vallée. Tous ses sens étaient décuplés malgré sa faiblesse et Hermès la suivit. Ils se déplacèrent presque toute la journée. Les plus jeunes membres du troupeau manifestaient leur fatigue et les juments s'agitaient, cherchant la bagarre entre elles mais aussi avec la jument meneuse. Gwenaëlle ne parvint que difficilement à les mener à la nouvelle vallée qu'elle avait choisie, sous un concert de hennissements et de piétinements de sabots. Elle avait le pressentiment qu'elle devait les mettre à l'abri. De toute façon, elle allait peut-être devoir faire un choix radical le lendemain matin et elle sentait au fond d'elle qu'il était temps que la nature reprenne ses droits. C'était Hermès, et lui seul, qui devait diriger son groupe. Et ce dernier devait prospérer et vivre sans son influence, sans sa télépathie.  Oui, il était temps que cette vallée retrouve un vrai groupe de mustangs sauvages. Sauvages et libres. Son exil ne pouvait continuer à influencer de cette manière leur groupe. Si un jour ils en venaient à faire trop confiance aux humains, cela pourrait être fatal. Mais avant de s'éclipser elle souhaitait les mettre une dernière fois en sécurité. 

Le soir tombant, ils atteignirent enfin leur destination : la vallée était moins luxuriante que la précédente mais mieux que celle où l'herbe brûlée n'avait toujours pas repris vie. Si l'herbe était moins grasse et s'il y avait moins d'arbres que dans leur ancien lieu de résidence, elle était bien protégée. Il fallait passer par deux tunnels dont l'un était enclavé dans l'autre et ne se voyait que par une ouverture discrète avant d'en trouver l'accès, blotti entre les roches. Les chevaux se dispersèrent rapidement pour reprendre leurs repères. Gwenaëlle se posta à l'écart, toujours sous sa forme de jument, et tenta de se reposer malgré les douleurs abdominales qui l'assaillaient. 

Vers les cinq heures du matin, elle se réveilla en sursaut. Elle quitta la vallée le plus rapidement qu'elle le put avec ses alentours accidentés et se métamorphosa avant même d'avoir atteint la sortie des cavités rocheuses. Elle s'effondra dans l'herbe, priant pour que son malaise s'estompe. Levant la tête vers le ciel étoilé, elle s'allongea plus confortablement, à plat dos. L'herbe s'aplatit dans un léger bruissement sous ses omoplates, amenant un flux de réminiscences. Inspirant et expirant, elle revit son été, ressentit à nouveau l'herbe sous leurs corps, l'eau froide du ruisseau, l'air parfumé du soir, vit le soleil déclinant. Une larme coula sur sa joue. Posant une main sur son ventre, elle pensa à la dernière décision qu'elle avait prise. Léo devait la détester à présent et cette pensée lui glaça les entrailles. Pourtant, son futur à elle dépendrait peut-être à jamais de son passé avec lui... Mais comment ne serait-ce qu'imaginer en construire un dans cet exil ? Jamais elle ne le pourrait, elle le savait. Tout se mélangeait encore et encore. Elle songeait pour la première fois que qu'elle n'aurait jamais dû accepter de revoir Léo. Elle s'était trahie, elle l'avait trahi. Au nom de ses peurs et de ses angoisses, elle avait renoncé à lui, sans même imaginer qu'il puisse être trop tard, sans même penser aux conséquences. Epuisée, elle finit par fermer les yeux. Le jour viendrait bien assez tôt.

Quelques heures plus tard, la pluie réveilla la jeune femme blottie en position fœtale. Elle passa une main sur son visage déjà ruisselant. Le ciel, noir, menaçant, et l'air lourd ne laissaient guère présager une averse passagère mais plutôt une pluie intense. Etourdie, Gwenaëlle se releva, oscillant sur ses jambes. Elle agita la main et se téléporta. Il était plus que temps de retrouver Fenris. Quand elle atterrit près du ruisseau où ils s'étaient entretenus la veille l'elfe était déjà là. Il lui tendit la longue boîte et déclara :

"Je crois qu'il est préférable que je te laisse faire ta journée tranquillement. Tu risques d'avoir besoin de réfléchir et la meute est agitée ce matin. Il fronça les sourcils. Son groupe était pourtant d'ordinaire tranquille. Peut-être était-ce l'orage... Gaya m'a demandé de me dépêcher, continua-t-il. Je reviendrai demain."

Les yeux fixés sur le carton entre ses mains, Gwenaëlle acquiesça d'un hochement de tête imperceptible et Fenris disparut. La pluie tombait toujours, l'eau de la rivière en était accélérée, comme animée d'un courant plus fort qu'à l'accoutumée. Les quelques peupliers autour des collines paraissaient plonger sous les rafales. Avisant une pierre un peu à l'écart, sous les arbres, Gwenaëlle alla s'y asseoir. Grâce au mode d'emploi, elle parvint à manier le contenu de la boîte qu'elle déposa ensuite sur la pierre près d'elle, à l'abri de l'eau. Il lui fallait attendre, une des choses qu'elle savait le moins faire. Soudainement, la pluie redoubla et elle entendit une branche craquer. Après ces mois d'exil, ses réflexes étaient plus affutés que jamais. Mais le silence se fit. Au lieu de rassurer Gwenaëlle, il la poussa à rester sur ses gardes. Jamais la forêt n'avait connu un tel silence, il y avait toujours un oiseau pour gazouiller, une branche pour tomber, surtout en plein jour de déluge. Alarmée, elle bondit sur ses pieds quand une ombre apparut à sa gauche. Elle poussa un cri et balança une boule de feu alors que la silhouette masquée et vêtue de noir bondissait vers elle. La cible s'embrasa et l'inconnu bascula dans la rivière en poussant un hurlement de douleur. Gwenaëlle allait pivoter pour s'enfuir mais elle sentit une main sur son cou et, dans le même temps, son crâne explosa. Elle tomba au sol, le souffle coupé. Dans un éclair, elle vit un mouchoir blanc plaqué sur son nez. La douleur la fit suffoquée et elle ne put qu'inspirer. L'odeur douceâtre, écœurante fut sa dernière perception avant que le monde ne l'engloutisse.  

SauvageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant