Chapitre 25 : Comme avant

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Le calme de la nuit propice au sommeil fut rompu par un coup de tonnerre. La jument se réveilla instantanément, sur le qui-vive. Ses yeux verts transpercèrent les alentours baignés d'un noir d'encre. La lune venait d'être masquée par d'impressionnants nuages obscurs. Les poulains, qui peinaient à distinguer les formes, s'agitèrent puis s'agglutinèrent autour de leur meneuse, recherchant chaleur et protection. Le vent se leva et l'atmosphère fraîchit encore davantage. Un éclair illumina brièvement la vallée dans laquelle le troupeau se dissimulait. Tous tremblèrent : le souvenir du dernier incendie remontait à quelques jours à peine mais les orages se multipliaient dans la région durant la période estivale. Sans répit, ils les harcelaient, faisant craindre toujours et encore pour leur sécurité, leur nourriture, leur habitat. Le repos lui-même était devenu dur à trouver car leur instinct les poussait à rester aux aguets et le traumatisme hantait encore les pensées des chevaux recueillis. Quant à la jeune métamorphosée, elle savait que nul ne viendrait apporter assistance aux humains condamnés dans ce lieu isolé et banni... Se concentrant, la jument se cabra et hennit : les derniers chevaux qui sommeillaient s'éveillèrent, s'ébrouèrent et la suivirent.  Hermès se plaça immédiatement près d'elle et les deux chevaux de tête entraînèrent leur groupe. Ils remontèrent un sentier et arrivèrent sur une colline moins boisée et dominant davantage leur territoire récemment acquis. Le troupeau commença à se disperser. Chacun tournait, se cherchant une place, humant l'air saturé et lourd. Inquiets, ils n'obéissaient plus à la télépathie de la jument meneuse. Alors que l'ancien cheval de courses essayait de rasseoir son autorité, la pluie se mit à tomber, soulageant nettement les animaux. Les éclairs et les grondements s'espacèrent et nul incident ne semblait avoir touché leur vallée. Un moment passa et, comme elle était intacte, ils allaient la rejoindre quand Gwenaëlle sentit qu'Hermès ne s'était pas calmé. Luttant contre la fatigue, elle en comprit rapidement la cause : une odeur humaine planait. Une odeur synonyme de chasseurs pour les mustangs puisqu'ils se trouvaient dans un lieu accessible aux hommes, ces mêmes hommes qui, avides et cupides, bafouaient la vie sauvage et arrivaient parfois à passer la prairie les séparant du monde magique, armés de pièges. Gwenaëlle laissa le troupeau à la garde d'Hermès, lui ordonnant de ne pas bouger. Mue par une intuition, elle fila le long de la colline et atteignit un petit pré. Au loin, les nuages s'éloignaient et une vague luminosité lui permit d'apercevoir un homme, jeune, apparemment châtain. Sans vraiment savoir pourquoi, elle fonça vers lui et se cabra. Elle voulait l'effrayer, elle voulait qu'aucun étranger ne puisse jamais toucher à son troupeau. Il était de son devoir de créer la sécurité pour ceux qu'elle dirigeait à présent. Il était de son devoir de ne plus faillir, comme elle l'avait fait face à la sécheresse. Le jeune homme, qui était de côté par rapport à elle, mit quelques instants à réagir, probablement surpris par son arrivée brutale. Il se protégea ensuite le visage avec ses mains en reculant. A cet instant précis, la jument était vraiment menaçante : crinière emmêlée, yeux verts perçants, elle l'agressa par un long hennissement qui retentit dans les montagnes. A force de reculer, le jeune intrus heurta une pierre du talon et tomba à plat dos. Ses mains cherchèrent un appui pour se redresser et il releva la tête. Gwenaëlle croisa alors les yeux noirs de l'étranger et comprit. Elle se laissa aussitôt retomber au sol, sur ses antérieurs, et s'immobilisa comme elle le put, sonnée. Elle se retourna et partit au galop. Derrière elle, l'homme s'était assis et passait sa main sur l'arrière de son crâne, l'air encore affolé, comme si ce qui venait de se dérouler n'était que le fruit de son propre esprit. Remontant vers son groupe, elle indiqua à Hermès de ramener le troupeau dans la vallée, qu'il ne craignait rien mais qu'il allait devoir gérer seul pendant quelques temps. Elle le rassura mais, pour la première fois quand elle usait de sa télépathie, son attention n'allait pas réellement au groupe. Elle se dirigeait uniquement vers les sentiments la consumant littéralement. Elle ressentait, elle vibrait. Tout son corps était agité de sensations qu'elle croyait mortes et enterrées depuis des lustres. A la hâte, elle se dirigea à nouveau vers la petite étendue verte, une sourde angoisse tordant maintenant ses entrailles à l'idée que leur "visiteur" soit parti. Cependant, il n'avait pas bougé, semblant fixer un papier griffonné. Gwenaëlle s'approcha doucement et le fixa droit dans les yeux avant de, tranquillement pour ne pas l'inquiéter, se métamorphoser. Quand elle eut fini, les deux jeunes gens se regardèrent en silence : leurs émotions déferlèrent jusqu'à que ce que Léo fasse le premier pas et enserre la jeune femme. Leur étreinte dura un moment puis les mots jaillirent :

SauvageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant