Sauvage

Chapitre 20 : Un trône menacé

La déclaration de Lys fut suivie d'un silence. Ankris fut évidemment le premier à reprendre la parole :

"Quel est le souci ? Ma mère est en danger ? s'inquiéta-t-il

Sans un mot la Maîtresse de la Tour lui tendit la lettre. Tous les apprentis se regroupèrent immédiatement autour de l'elfe et lurent :

"Chère Lys,

Je t'écris cette lettre de manière quelque peu égoïste, je le sais, mais j'ai un besoin urgent de toi et de toute ton école. Au sein de mon royaume règne une des pires menaces que je n'ai rencontrée. Il s'agit d'un mage noir qui, depuis trois ans, a réussi à acquérir tous les sorts qui feront de lui le mage du Mal. Cet homme, tu le connais, il s'appelle Jules et son dessein a toujours été le même : s'emparer de pouvoirs obscurs quel qu'en soit le prix et instaurer une dictature totale dans notre monde. Il semblerait qu'il ait dépassé la première étape et nos vies sont désormais menacées. Il a revendiqué publiquement un affrontement avec moi : il veut faire tomber mon gouvernement et prendre ma place. Toutes mes issues sont fermées et je suis entourée mais je crains le pire.  Voilà pourquoi je t'implore aujourd'hui de venir avec tes apprentis pour assurer ma sécurité. Peut-être ne parviendra-t-il jamais à moi mais je préfère me préparer et, pour cela, je te fais confiance : tu disposes d'apprentis aux pouvoirs puissants.

Arrivés à ce niveau tous les regards convergèrent vers Gwenaëlle, puis vers Ambre, gênées.

De plus, s'il m'arrive quoi que ce soit, il faut qu'Ankris puisse se battre à son tour : ce royaume risque d'être bientôt le sien.

Ankris blêmit à cette pensée : pour lui, la reine était et serait toujours sa mère.

J'espère, ma chère amie, que nous nous verrons bientôt et que tu accepteras ma demande. Je sais que cela représente beaucoup. Bien amicalement,

Nawin"

La lettre finissait ainsi, sans même un sceau officiel. L'écriture était tremblante et l'encre épaisse, certaines formulations maladroites pour une reine. Gwenaëlle ne put s'empêcher de le remarquer. Mais, elle était surtout abasourdie par son contenu, tout comme le reste de l'équipe. Ils échangèrent quelques regards. La mage consacrée de quinze ans fut la première à prendre la parole :

"Nous avons le devoir de protéger la famille elfique même si cela doit se faire au détriment de notre futur n'est-ce pas ?

Tous acquiescèrent ; comme dans les anciens empires, ils se faisaient une idée très précise de la défense de leur contrée et Gwenaëlle en avait d'ailleurs été informée dès son arrivée. Celle-ci répondit justement :

- Il s'agit d'une valeur que je trouve juste mais, ici, j'estime que notre amitié pour Nawin passe avant tout autre idéal.

Un murmure d'approbation parcourut la cuisine où ils étaient toujours réunis. 

- Très bien, conclut Lys, allez prendre quelques affaires, nous nous retrouvons ici dans trente minutes."

En silence, chacun monta. Gwenaëlle gagna sa chambre et ouvrit son armoire. Elle prit son sac à dos et y glissa quelques tuniques violettes ainsi qu'un nécessaire de toilette. Puis, se penchant au ras du plancher de l'armoire, elle sortit un collier dont le pendentif était un attrape-rêve. Elle avait cessé de le mettre pour essayer de faire taire de vieux souvenirs et pourtant elle en avait cruellement besoin. Elle l'attacha derrière sa nuque et le laissa se mêler à celui de Lys en forme d'éclipse. Elle revit alors à nouveau Léo, lui tendant le bijou en lui disant qu'il espérait qu'elle réussirait toujours à accomplir ses rêves. C'était il y a bien longtemps. Elle empoigna son sac, se retourna et contempla sa chambre en jouant avec ses pendentifs. Sans savoir exactement pourquoi, elle sentait qu'elle ne reviendrait pas. Mais, cela ne lui procurait nulle émotion. Elle avait pourtant conscience que si Jules atteignait le palais, ils courraient tous à leur perte. Mais, s'efforçant de se conduire comme toute apprentie, elle avait appris à museler ses ressentis. Peut-être cela était-il aussi dû à l'extrême contrôle dont elle devait faire preuve pour maîtriser et canaliser son énergie, jour après jour. Depuis que les explosions avaient cessé, sa magie était d'une grande performance mais brider ses humeurs étaient nécessaires. En attendant, l'heure tournait. Fermant la porte derrière elle, elle descendit. Elle rejoignit ses camarades, écoutant ses pas résonner en direction du rez-de-chaussée. Tous avaient la mine grave et l'ambiance s'était alourdie, comme si une chape de plomb s'était abattue sur la Tour. Même le ciel, déjà grisâtre en début de journée semblait avoir soudainement noirci. Lys arriva et balaya du regard l'assemblée. Elle ne put s'empêcher de ressentir une pointe de fierté en voyant ses apprentis, prêts. Chacun réagissait à sa manière : Ambre semblait concentrée comme si elle se remémorait une multitude de sorts, Ankris sautillait nerveusement d'un pied sur l'autre et Gwenaëlle, comme à son habitude, ne laissait rien transparaître devant tout le monde.