Chapitre 7- Folledingue

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-...Et là tu vois, quand ma mère a voulu me déposer ce matin, elle a remarqué mon serre-tête et m'a dit de l'enlever. J'ai voulu savoir pourquoi et elle m'a dit, je cite: "Si tu mets ce serre-tête, tu auras l'air d'une folle sortie d'un asile pour enfants." Un asile pour enfants! Mais est où est-ce qu'elle est partie chercher ça? Enfin bref... Du coup, je l'ai enlevé et je l'ai mis discrètement dans mon sac de cours et elle ne s'est doutée de rien. C'est vrai quoi! Si j'ai envie d'avoir l'air d'une folle, ça ne regarde que moi, non?

Piper, volubile, continue de raconter son récit à Alex qui la fixe, éberlué. La jeune fille parle à une vitesse folle! Pour peu, Alex pourrait penser qu'elle se parle à elle-même tant elle semble survoltée. Il est presque tenté de vérifier si elle n'a pas un bouton qui lui ferait décélérer son débit de parole.

Mais d'un autre côté, il n'a pas envie de l'interrompre. D'abord, ce n'est absolument pas dans sa nature d'interrompre les autres. Le jeune garçon a toujours eu pour habitude de laisser les gens parler, de les écouter et de n'intervenir que lorsqu'ils ont terminé de parler, déjà par politesse, mais aussi par manque de confiance. Et la deuxième raison pour laquelle il n'a pas envie d'arrêter Piper, c'est là encore par manque de confiance, mais surtout parce qu'il s'agit de Piper. Il se sent pathétique de raisonner ainsi, mais c'est plus fort que lui. Il ne sait pas qui a dit un jour que l'amour rend faible, mais là, il ne peut qu'approuver.

Son interlocutrice, qui a finalement fini de raconter son épopée, est à présent en train d'admirer son serre-tête avec des oreilles de Lapins Crétins. N'importe qui aurait honte de porter ce genre de chose, surtout dans un lieu public comme le lycée. Mais Piper n'en a cure. C'est sans doute la chose qu'Alex admire le plus chez elle: elle n'a pas peur du ridicule. Au contraire même. La jeune fille va jusqu'à défier la loi de la honte et du ridicule. Piper Cornett est la définition même du mot burlesque et elle en est fière. Alex ne serait même pas étonné de la voir débarquer au lycée avec un serre-tête en forme de renne la semaine précédant les vacances de Noël. Ce que sa mère désapprouverait, évidemment.

-C'est drôle, quand même, dit-il.

-De quoi?

-De voir que ta mère et toi êtes totalement opposées. Genre toi t'es complètement folledingue alors que ta mère est ce qu'il y a de plus strict.

Piper hausse brièvement les épaules.

-C'est vrai qu'elle est un peu intransigeante sur les bords mais bon. Visiblement, être rigide, c'est pas dans mes gênes. Si au moins elle pouvait comprendre ça...

Elle remet son serre-tête sur son crâne avant de faire glisser ses doigts sur sa chevelure bonde, l'air soudainement songeur. Alex est pratiquement sûr d'avoir vu dans les yeux noisette de la jeune fille une petite étincelle qui ressemble à de la frustration. C'était une étincelle tellement fugace qu'Alex ne l'aurait sans doute pas vue s'il n'avait pas fait attention.

-Enfin bref!, s'exclame-t-elle avant de changer de sujet. Et toi, Alex? Comment ça va, les cours, tout ça, depuis la rentrée?

Le fait qu'elle passe comme ça du coq à l'âne perturbe grandement le jeune garçon. Mais il ne se fait pas d'illusion. Si elle s'intéresse subitement à lui, c'est pour ne pas parler de ce qui la tracasse réellement. Et ça, il n'y a rien de plus dépitant pour lui. Ne pas savoir si Piper tient à lui autant qu'il tient à elle. Il aimerait réellement que Piper ne le voie pas seulement comme un ami.

Mais comment le lui dire? Comment le lui faire comprendre?

Il garde toutes ses réflexions pour lui et répond à son amie:

-Ouais, ça va. La routine. Il y a des profs qui n'ont pas changé, certains sont toujours aussi peaux de vache, d'autres au contraire sont toujours aussi géniaux. Et les cours... bah c'est les cours, quoi. Rien de nouveau.

La Famille RobertsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant