Ce qu'elle faisait actuellement ? Rien de bien intéressant.
Ce qu'elle avait l'habitude de faire ? Rien du tout.
À quoi se résumaient ses dernières années ? À rien de très drôle.
À quoi ressemblait son futur ? À rien de très réjouissant.
C'était depuis longtemps la norme pour Bernadette Bujold... qui, soudain, rompit le calme de la pièce – où elle ne faisait rien, donc – en éternuant bruyamment :
— Atchouuum !
Suite à ce délicat bruit – qui rappelait vaguement un barrissement éléphantesque –, la vieille dame chercha en catastrophe une serviette en papier... en vain. Il n'y avait pas la moindre boîte de mouchoir en vue. Partout s'étalaient de somptueux guéridons laqués, des multitudes de vases de fleurs, de délicats coussins de velours aux couleurs moirées... rien que de belles choses pour un décor ordonné, luxueux, voluptueux... mais – hélas ! – dépourvu du plus petit kleenex.
Un reflet attira soudain son attention. C'était un vase de cristal, derrière lequel était dissimulé un paquet de mouchoir. L'ayant remarqué, Madame Bujold s'arc-bouta sur les roues de son fauteuil dans l'espoir de faire marche avant.
Fichu machin. Les semaines précédentes, elle avait été prise de douleurs à la jambe. Résultat : sa famille s'était empressée de la caser dans une chaise roulante, arguant « que c'était pour son bien », « que ça la reposait », « que ça ne pouvait pas lui faire de mal »... alors qu'elle marchait parfaitement bien, et que manœuvrer l'engin lui réclamait mille fois plus d'efforts que de tenir debout.
Alors qu'elle allait attraper ses mouchoirs, le jeune homme assigné à sa garde la devança : il s'empara du paquet une fraction de seconde avant elle pour le lui tendre. Elle consentit à le prendre, en grognant :
— C'est bon, ça va ! J'allais le faire ! À soixante-dix ans, je suis encore capable de prendre un mouchoir toute seule ! Je ne suis quand-même pas gaga à ce point !
— Tut tut tut. Ne vous fatiguez pas, Bernadette, ma chérie. Ne faites pas de mouvement brusque. Et ne vous énervez pas : c'est très mauvais pour votre tension ! Ce n'est qu'un kleenex, il n'y a pas mort d'homme ! N'est-ce pas, ma chérie ?
— Ma tension va très bien. Et puis, arrêtez de dire « kleenex » ! C'est un mot horrible ! Et arrêtez de m'appeler chérie ! Je ne suis pas votre chérie.
— Allons, ce n'est pas grave. Mais, dites-moi, vous attrapez froid ? Je vais vous faire un bon chocolat chaud.
— Mais je n'ai pas froid ! Et j'ai horreur du chocolat chaud !
Trop tard. Le jeune homme avait déjà claqué la porte. Énervée, elle s'enfonça de plus belle dans son fauteuil.
Émile Vanternier... ce satané « garde ». Toujours sur son dos à pérorer. La caméra de vidéo-surveillance la plus efficace. Une technologie infaillible. Sans doute la pire infamie que sa belle-famille ne lui ait jamais imposée. Qu'est-ce qu'il lui tapait sur les nerfs ! Une punition à la fois ingénieuse, d'une cruauté sans nom et totalement imméritée. Toujours à lui trouver des problèmes de partout. Un rhume, de la tension... à croire qu'il n'aimait rien tant que la vieillir. Et puis, elle était sûre qu'il la méprisait. Tout cet excès de politesse, toutes ces révérences ridicules et pompeuses... c'était pour mieux se moquer d'elle ! Et il s'obstinait à lui faire ingurgiter du chocolat chaud, qu'elle exécrait !
Il fallait cependant noter que, si les Bujold souhaitaient que Bernadette soit surveillée de près, ils n'auraient pas pu s'y prendre mieux. Rien n'échappait à Émile.
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Attention, Mémé méchante !
HumorSa famille la délaisse ? Pas de soucis pour Bernie : elle prend l'identité d'une autre ! Mais une simple farce peut si facilement dégénérer... La vieille Bernadette Bujold s'ennuie : son mari est décédé, ses neveux la délaissent, le garde assig...