— Et donc, ce soir, je m'en vais. Je retourne chez moi. C'est fini.
Achevant cette phrase, Bernadette allongea le bras, attrapa une pomme et la croqua. Elle s'était enfin débarrassée de sa chaise roulante, n'en ayant de toute façon jamais eu besoin. Et puis, il n'y avait plus de comédie à jouer.
De l'autre côté de la clôture, Armand acquiesça silencieusement. Confortablement installé dans un transat, il savourait son dernier après-midi en sa compagnie. Enfin... que c'était le dernier après-midi avec elle, il l'ignorait jusqu'à ce qu'elle le lui annonce.
Il venait d'apprendre que les Zavialov avaient découvert la supercherie. Il avait alors supplié son ancienne fiancée de lui narrer la scène. L'annonce de son départ l'avait chagriné :
— Bernie... Tu es vraiment sûre que tu pars ?
— Et comment ! Tes voisins sont absolument charmants, mais ils n'étaient pas vraiment contents de voir que j'avais joué la comédie. À mon avis, je peux déjà m'estimer heureuse qu'ils n'aient pas appelé la police.
— Mais pourquoi ? Tu n'as rien fait de mal !
— Mais non, à peine... j'ai juste volé l'identité de ta voisine pendant une semaine – que j'étais prête à prolonger pour une durée indéterminée –, mais sinon, je n'ai absolument rien à me reprocher !
Il soupira, la couvant d'un regard tendre et niais.
— C'est fou, Bernie... cinquante ans... Tu t'es volatilisée il y a cinquante ans... et tu n'as pas changé. Absolument pas changé.
— Toi non-plus, Armand. Mais je te rappelle pour la énième fois que, si je veux de quelqu'un qui me regarde avec adoration et qui encense le moindre de mes faits et gestes...
— Tu n'as qu'à adopter un labrador, je sais, je connais cœur. C'est bien ce que je dis. Tu n'as pas changé.
— Bof... n'empêche, mes neveux ne voudraient pas d'un labrador. Dommage...
Soudain, une voix la héla depuis la maison :
— Madame Bujold ! C'est l'heure ! On va vous ramener à la maison ! Venez !
— OK ! J'arrive !
Elle se tourna une dernière fois vers Armand.
— Eh bien... au-revoir. J'étais contente de te retrouver. Ça... ça m'a fait du bien, de repenser au bon vieux temps. De remettre le nez sur mes échecs... je veux dire, sur ma jeunesse. Et puis, les souvenirs, tout ça... non, ça m'a fait du bien.
— Bernie, attends !
Elle arqua les sourcils, lui faisant comprendre qu'il n'avait pas intérêt à la retarder. Aussi, avec empressement, maladresse et émotion, il balbutia :
— Écoute... je sais que ça date d'il y a cinquante ans, que c'est vieux... mais, tu te rappelles ? Ce soir de juin, dans la roseraie du Thabor... je t'avais demandée en mariage...
— En effet. Même que tu avais failli paumer la bague, parce qu'au moment où tu me la tendais, il y avait un bébé sur un tricycle, ou un truc du genre, qui t'étais rentré dedans.
— Hum, oui, je ne suis pas près de l'oublier, celui-là. Mais, s'il te plaît... arrête les vannes deux secondes ! Je suis sérieux ! Je n'ai plus de bague à t'offrir. Je ne ne suis plus jeune. Je ne peux plus te faire d'enfant. Je ne roule pas sur l'or, comme ton Aristide. En fait, je n'ai rien à t'offrir... mais veux-tu quand-même m'épouser ?
Bernadette ne répondit pas immédiatement, en pleine réflexion, quand Manon arriva.
— Madame Bujold, qu'attendez-vous ? Tiens, salut monsieur Richard. Vous discutiez ? Allez, on va y aller. Bonne soirée !
VOUS LISEZ
Attention, Mémé méchante !
HumorSa famille la délaisse ? Pas de soucis pour Bernie : elle prend l'identité d'une autre ! Mais une simple farce peut si facilement dégénérer... La vieille Bernadette Bujold s'ennuie : son mari est décédé, ses neveux la délaissent, le garde assig...