Chapitre 4 : Bienvenue !

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 Bernadette Bujold s'extirpa péniblement de son sommeil. Et aussitôt, une question lui vint à l'esprit :

 — Mais... où est-ce que je suis ?

 Les guéridon luxueux, les fleurs délicates, les portraits de la belle-famille... avaient disparus. Elle-même était dans une chambre aux murs gonflés d'humidité, meublée d'un lit bancal doté de draps à la propreté douteuse. Une jungle de plantes à moitié mortes se bousculaient sur les tables, les étagères et, là, sur ce buffet... c'était un chien empaillé ?

 Lorsqu'elle en fut certaine, la septuagénaire poussa un petit cri.

 Où était-elle tombée ? Chez qui ? Quelles personnes gardaient des animaux empaillés ? Elle essayait de se redresser quand, en réponse à son cri, surgirent deux enfants. Le premier était un petit garçon aux cheveux blonds et frisés. Il ne devait pas avoir plus de six ans et était dégoûtant : la boue maculait son pantalon, son pull et sa figure.

 Quant à la suivante, c'était une adolescente assez petite, aussi frisée que son frère – bien que châtain. Elle rentra en braillant :

 — Nous sommes les petits soldaaats, nous arrivons nous voilààà... Sonnez, trompettes éclatantes ! Ta, ra-ta-ta-ta-taaa...

 Madame Bujold interrompit le vacarme d'une voix blanche :

 — Bonjour, je... je suis où ?

 — Allons, mamie ! s'écria la diva avec un sourire gigantesque. Ne fais pas comme si tu ne nous connaissais pas ! En même temps, c'est pas étonnant que tu sois un peu perdue... quand on est revenu du parc, tu pionçais comme un bébé ! Manouche et moi n'avons pas eu le courage de te réveiller. Du coup, donc on t'a simplement ramenée à la maison. T'as de ma chance de pouvoir dormir comme ça !

 — Ah, oui... à la maison...

 Elle se concentra pour se rappeler les dernières heures. Peu à peu, elles lui revinrent à l'esprit. Elle se promenait avec Émile... il l'avait larguée sur le promontoire... son sosie dormait à côté... elle avait payé des jeunes pour les échanger, histoire de faire une farce... elle-même s'était endormie... et apparemment, ces gens en avaient profité pour les confondre.

 Elle prit brusquement conscience de l'ampleur de la catastrophe. Cette bande de bras cassés n'avait pas été capable de les différencier ! Zut ! Elle était chez des inconnus ! Maintenant, que faire ? Comment leur expliquer quelque chose d'aussi énorme, bête et ridicule ? D'autant plus que c'était de sa faute...

 Elle avisa l'adolescente. Elle devait être suffisamment grande pour comprendre !

 — Hep, jeune fille !

 — Bon, je te laisse, mamie ! J'ai une montagne de devoirs pour demain. Quant à toi, Tity, n'oublies pas de prendre une douche ! Tu schlingues à mort, c'est pire que Patounet !

 — Eh, attends !

 Mais trop tard. Elle venait de repartir dans le couloir, d'où retentissaient les dernières notes de la Garde Montante. Ne resta plus que le garçonnet aux cheveux blonds et frisés – qui n'était pas sans rappeler Pierre Richard. Levant vers elle ses grands yeux noisette, il demanda :

 — Tu voulais dire quoi, à Natasha ?

 — Non, rien.

 Hors de question d'expliquer sa situation à ce bébé. Il était trop jeune, il risquait de ne rien comprendre... ou, pire, de tout déformer ! D'ailleurs, l'idéal n'était pas non-plus de se confier à la jeune fille, Natasha. Elle aussi, était un peu jeune... c'était risqué. Elle pourrait faire n'importe quoi. Non, le mieux, c'était de s'expliquer avec un adulte.

Attention, Mémé méchante !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant