Installée dans un fauteuil, Bernadette profitait de la brise qui entrait par sa fenêtre. Au bout de longues minutes, fatiguée par son inaction, elle se leva et saisit la pile de cartes qui traînait sur sa table.
Elle les feuilleta. Depuis deux semaines qu'elle habitait La Pinsonnière, elle en avait reçu une foule, de temps en temps accompagnées de petits cadeaux. Ils venaient de ses « comparses » d'escapade – Natasha, Manon, Armand... mais aussi, contre toute attente, de Lavrenty et de son épouse. À croire qu'elle leur manquait.
Dommage qu'ils ne puissent pas lui rendre visite... pourtant, c'était le règlement de La Pinsonnière. En dehors de sa famille, nul n'avait l'autorisation de la rencontrer.
Ce qui revenait à dire que personne ne la voyait. Les Bujold semblaient avoir disparu de la circulation ; ils ne lui avaient jamais rendu visite en deux semaines. Pas même un coup de fil. Il en allait de même pour Émile Vanternier. Pourtant, dans l'ancien temps, il ne cessait de venir l'enquiquiner, de lui trouver des problèmes de santé... un peu plus et il allait lui manquer.
Elle attrapa une lettre de Colette et la relut pour la énième fois, en grignotant un chocolat qui était aussi de sa part :
« Salut Bernie !
Désolée que tu aies dû prendre ma place ici. Bon, d'accord, on y est pas trop mal... Mais c'est tellement mieux d'être avec sa famille !
En parlant de famille, j'espère que les Bujold te rendent visite de temps en temps, et qu'ils ne t'ont pas reléguée à La Pinsonnière comme une vieille momie. Tu ne te vexeras pas si je te parle comme ça, j'en suis sûre. Tu te rappelles comme tu trouvais pire, quand tu t'adressais à ta chère cousine, à l'époque ?
D'ailleurs, tu me déçois ; j'aurais cru que, l'après-midi où tu nous avais échangées au parc, tu m'aurais reconnue ! D'ailleurs, je crois bien que si, l'après-midi où tes Bujold et Lavrenty, Manon et Nana sont venus t'amener à La Pinsonnière – et me récupérer –, je ne t'avais pas reconnue, on ne serait toujours pas au courant qu'on est cousines !
En même temps, ça date... la dernière fois qu'on s'était vues, on devait avoir une quinzaine d'années... Quel dommage que tu aies déménagé de Strasbourg ! Si je me souviens bien, tes parents avaient trouvé du travail à Rennes. On s'est vues de moins en moins... après, uniquement à Noël... et à la fin, plus du tout.
D'ailleurs, à l'époque où on fréquentait toutes les deux le conservatoire, les gens croyaient déjà que nous étions sœurs, voire même jumelles. Bon, on est seulement cousine, mais il faut admettre qu'on se ressemblait déjà beaucoup ! Et là, n'en parlons pas... quand je t'ai vue, j'ai presque cru que j'étais face à un miroir !
Mais c'est fou, quand-même... ce sont nos mamans, qui sont censées être jumelles, sauf qu'elles ne se ressemblent pas du tout. Par contre, nous, on est seulement cousines, mais on se ressemble comme deux gouttes d'eau !
En parlant du conservatoire, je suis contente pour toi que tu sois devenue professeure de chant lyrique. En même temps, c'est normal : au conservatoire, tout le monde disait que t'avais une super voix ! À écouter ta prof, elle était prête à t'envoyer à l'Opéra de Paris. Mais si tu as préféré enseigner, tant mieux pour toi. Pour vivre heureux, vivons caché.
Moi, j'avoue que je n'arrivais pas à ta cheville, au piano. De toute façon, je ne comptais pas en faire mon métier. C'était juste un loisir. Mais je suis heureuse que Natasha s'intéresse à l'opéra. Elle devrait arriver quelque part, avec sa voix...
Si je le pouvais, je viendrais te voir. Rien que pour parler de quand on était jeune. Mais malheureusement, on n'a pas le droit. Rien que la famille. Bon, on est de la même famille : on est cousine... le problème, c'est que d'après ce que j'ai compris, tes Bujold ont fait n'importe quoi avec l'inscription, ils n'ont pas pensé à nous enregistrer. Je sais pas, ils ont du croire que, s'ils nous autorisaient à te dire bonjour, on allait te kidnapper.
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Attention, Mémé méchante !
HumorSa famille la délaisse ? Pas de soucis pour Bernie : elle prend l'identité d'une autre ! Mais une simple farce peut si facilement dégénérer... La vieille Bernadette Bujold s'ennuie : son mari est décédé, ses neveux la délaissent, le garde assig...