Chapitre 2 : Colette

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 Lavrenty Zavialov contemplait son entrée. Elle était à l'image du reste de la maison : en pagaille. Des étagères branlantes exposaient les bibelots les plus variés : photographies, paires de ciseaux, plantes à moitié mortes... Par terre gisaient des sacs de graines pour poulet, mêlés à des cageots de légumes en décomposition. Le guéridon – ou du moins, la table branlante qui en tenait lieu – croulait sous les objets les plus divers. Livres, yo-yo, cravate, factures... Factures ?

 Le taxidermiste s'en approcha, les saisit, soupira de soulagement. Ouf ! C'était bien elles ! Depuis cinq jours qu'il les cherchait, impossible de mettre la main dessus. Rasséréné, il les reposa au même endroit.

 Mince, bien droit, de taille moyenne, Lavrenty venait tout droit de Saint-Pétersbourg. Il habitait depuis une bonne vingtaine d'année la Côte d'Azur, où il exerçait la taxidermie. C'était là qu'il avait rencontré Marlène Corlier, son épouse. Justement, celle-ci pointa son nez constellé de taches de rousseur :

 — Chéri ! Patounet a encore dégobillé dans le salon ! La puanteur est insoutenable ! Je parie qu'il a encore bouffé la pâtée des poules !

 — Flûte ! Écoute, Marlène, je vais prendre... De la sciure...

 — Bonne idée ! Mais je te souhaite bonne chance : j'en cherche depuis trois jours, et impossible de mettre la main dessus ! 

 Précisons que Marlène passait la moitié de son temps à égarer les objets, et l'autre moitié à leur courir après. 

 — Je vais voir dans le jardin, décidait son époux. Je crois en avoir vu là-bas...

 — Fait gaffe à ce que ce soit bien de la sciure, et pas les trucs que laissent les termites qui rongent l'amandier au fond !

 Il acquiesça, enjamba une fenêtre qui ne demandait qu'à s'ouvrir et disparut. Sur ces entrefaites, des vocalises retentirent dans le dos de sa femme.

 Inutile de se retourner pour identifier le – ou plutôt la – chanteuse. C'était sa fille, Natasha. Elle avait quatorze ans, des yeux noisette et un front acnéique. Plutôt chétive, ses cheveux étaient châtains dorés, frisés comme ceux d'un mouton, et son plus grand souhait était de devenir cantatrice. En raison de quoi, elle imposait toute la journée ses plus grands classiques à la maisonnée.

 Sa mère l'avertit :

 — Patounet a encore vomi, Nana. Ne mets surtout pas les pieds dans le salon si tu tiens à ta vie ! Qu'est-ce que ça schlingue !

 — Ouille ! Tu veux que je le sorte, pour que tu puisses nettoyer tranquillement ?

 — Ah, je ne cracherais pas là-dessus ! Mais avant d'y aller, propose à Leonty...

 — Tity est dégueulasse, on dirait qu'il vient de se rouler dans une flaque de boue.

 — Encore ? Et Vladislav ?

 — Il a beaucoup mieux à faire. Lui, c'est dans sa chambre qu'il roule !

 — Hein ? Mais quoi ? Qu'est-ce qu'il roule ? Pas des cigarettes, j'espère ! 

 — Des pelles, avec sa copine.

 — Laquelle ? Isabelle ?

 — Non. Isabelle, c'était la semaine dernière. Elle, c'est Pauline, et elle porte le dossard numéro cent-soixante-trois ! 

 — Et pourquoi pas... Manouche ! Mais qu'est-ce qui t'arrive ?

 Marlène se précipita vers sa petite sœur. Nez rouge, yeux rouges, joues rouges, tout était rouge chez Manon Corlier, jusqu'à son tee-shirt et ses crocs assorties.

Attention, Mémé méchante !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant