Chapitre 22 : Sauvons Bernadette !

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 La vieille Bujold patientait. Installée dans son fauteuil, elle guettait la réaction de ceux qu'elle considérait comme ses amis.

 Au fond, elle s'en voulait. Elle devait être en train de leur flanquer une frousse magistrale... car elle n'avait aucune envie de se suicider. En même temps, cela n'était pas dans sa nature : comment pouvait-elle songer un seul instant à mettre fin à sa vie, sous prétexte qu'elle était ennuyeuse ? Et puis, elle ne pouvait pas leur faire ça. Au fond, ils l'aimaient tous, ne serait-ce qu'un tout petit peu : Armand l'admirait toujours avec des yeux humides d'adoration, Natasha lui envoyait souvent un petit message – quand elle ne lui téléphonait pas... et tous lui avaient écrit.

 C'est pourquoi elle se sentait coupable de jouer une telle comédie. Mais après tout, on ne faisait pas d'omelette sans casser d'œufs. Ce qu'elle voulait, c'était sortir de là. Et pour convaincre ses amis – qui n'osaient pas s'en mêler –, elle se sentait prête à tout. Y compris à jouer les dépressives à tendance suicidaire. Et tant pis s'ils avaient peur. Cela boosterait les réactions.

 En attendant l'effet que produirait son message, elle garda son téléphone – les réactions viendraient forcément de là – et se dirigea vers son placard. Il s'agissait d'un élément-clef dans son plan...

 Si elle était aussi certaine de la rapidité de l'effet, c'était parce que Natasha restait toujours collée à son téléphone. Même en classe. Pour les élèves, ce n'était pas sorcier. D'après la collégienne, tout le monde conservait son portable dans sa trousse pour guetter la moindre notification. La vieille dame trouvait cela malsain. Mais dans ce cas précis, cela ne pouvait que lui être bénéfique.

 Connaissant la jeune fille, elle savait que, si elle recevait le SMS en classe, elle demanderait à aller au toilette pour envoyer un message à sa tante. Et si elle était libre, ce serait encore plus simple et rapide.

 Soudain, son portable sonna. C'était le numéro de Natasha. Un sourire en coin, elle décrocha en jouant avec les portes de son placard. Les battants rouillés produisirent un vacarme si monstrueux qu'elle eut du mal à entendre son portable :

 — Bernie ? Bernie ! C'est Armand !

 — Ah, mon pauvre Armand ! déclama-t-elle d'une voix larmoyante, enrichie par des trémolos émouvants hérités de sa carrière de cantatrice. Tu aurais été bien tranquille sans moi ! Mais je t'aime. Je t'aime très, très fort. Ne l'oublie pas. Ne m'oublie pas.

 — Je... pardon ? Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? Et c'est quoi, ce bruit de vélo rouillé ?

 — C'est la fenêtre ! Elle grince. Mais c'est fini. C'est fini, et bien fini. Adieu ! 

 Elle fut obligée d'écarter quelques secondes le combiné, histoire de rire à son aise tant elle se trouvait ridicule. À l'autre bout du fil, son interlocuteur hurla :

 — Bernie ! Non ! Non ! Attends ! Ne fais pas ça, malheureuse ! Ne me laisse pas ! Ne nous laisse pas ! On va te sortir de là, je te le promets ! Tu m'entends ? Mais ne fais pas ça ! 

 Il criait si fort dans le portable qu'elle en fut toute étourdie. À croire qu'il était à côté d'elle. C'en était presque comique. Elle plaça sa main sur le haut-parleur pour ne pas finir sourde, puis promit de rester sage. En retour, il jura qu'il irait aller la chercher bientôt.

 Elle raccrocha, satisfaite, et ne put s'empêcher de sourire. Voilà ! Le ressort était lancé. Il n'y avait plus qu'à attendre qu'ils viennent la cueillir... et elle serait tirée d'affaire !

 Dans le salon des Richard, tous restèrent longtemps muets. Enfin, du bout des lèvres, Natasha brisa le silence :

Attention, Mémé méchante !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant