6- Martial à 4 ans

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─ Souffle les bougies mon bonhomme.

Martial s'évertue à souffler les quatre bougies sans y arriver. C'est un crève-cœur de voir cela, il n'a quasiment pas de souffle.

Il baisse la tête, malheureux.

─ Va y recommence ! Je souffle derrière lui pour l'aider et enfin il arrive à les éteindre.

Pour son anniversaire, je lui ai proposé d'inviter des amis d'écoles, mais il n'a pas voulu. Il m'a expliqué qu'ils étaient trop agités et qu'il voulait se reposer. Il a peur que ses amis le fatigue.

Des fois je voudrais le secouer comme un prunier, mon grand père de cent ans, dans le corps de mon bébé.

Comme cadeau, il a demandé du matériel de dessin et des livres.

J'ai tenté de lui proposer un jouet plus sportif, comme un ballon ou une trottinette, mais il a refusé triste et je me suis dépêché de lui promettre de lui prendre que ce qu'il voulait, pour effacer son air malheureux.

Je sais que les autres enfants l'aiment bien en classe, la maitresse le surveille à cause de son minuscule gabarit et parce qu'elle l'adore. Tous les adultes qui doivent le garder l'adorent, normal il ne bouge pas. L'écart avec ses camarades de classe est encore aggravé car il a sauté une classe. Il est tellement doué qu'il est passé en grande section.

Je ne voulais pas, à cause de sa petite taille et le directeur de l'école m'a convoqué sans que je cède.

Comme toutes les personnes qui côtoient mon fils il n'a que ce mot à la bouche : « votre enfant est exceptionnel ! » Ils me gonflent tous.

Je déteste plus que tout aller à l'école car j'ai toujours peur qu'ils découvrent mon petit secret. Je ne sais pas lire, mais le pire c'est que j'ai même oublié ce que j'ai appris difficilement à l'école.

C'est Miranda qui m'a convaincu d'accepter les changements de classe quand je lui en ai parlé.

─ Il aura toujours une petite taille, pourquoi l'empêcher de s'épanouir à l'école ? A-t-elle demandé.

Quand c'est elle, je l'écoute et bien sur j'arrive à comprendre qu'elle a raison, que les maitresses de l'école ont raison et que c'est moi qui suis en tort.

─ Tu crois que je l'empêche de s'épanouir ? je demande consternée.

─ Si tu le limites à cause de sa taille et de sa santé oui !

Elle m'a donné matière à réflexion, je me suis senti honteuse de mon attitude. Finalement j'ai cédé et accepté le changement de classe. N'empêche ! il rentrera donc en CEP à quatre ans, ce qui est ridicule.

Le Directeur a demandé à me revoir et m'a prévenu que ce ne serait sans doute pas le seul saut de classe qu'il ferait.

─ Martial pourrait déjà être au moins en CE1. A-t-il claironné.

J'ai voulu protester, mais il s'est dépêché de poursuivre.

─ On va le laisser terminer son année scolaire de maternelle, cependant l'an prochain il ira directement en CE1, inutile de l'embêter à aller en CEP où il va trop s'ennuyer, puisqu'il sait déjà lire et écrire et je l'ai signalé comme enfant surdoué.

J'ai hoché la tête, quand je reçois des papiers, maintenant, je lui demande de les lire et de m'expliquer, j'ai renoncé à faire semblant avec lui.

Je grimace, embêté, j'ai toujours peur quand on parle de signalement. Je pense dénonciation et sanction.

Surtout qu'avec ma crise à l'hôpital pour sa naissance, je suis déjà fiché comme mère à problème et cela me donne le droit à des inspections de la DASS, deux ou trois fois par ans pour vérifier que je n'ai pas tué mon fils ou que je ne le violente pas.

J'ai l'impression parfois qu'ils brulent tous de me le reprendre, et si jamais ils apprennent ce que je fais avec Miranda, sûr qu'ils me le confisquent mon marmot.

─ Signalé à qui ? j'ai grogné inquiète.

─ A l'inspection académique, il existe quelques écoles pour surdoué en France et Martial y a sa place. J'ai trente ans d'ancienneté dans l'éducation nationale et je n'ai jamais vu un enfant avec un tel potentiel. Mais inutile d'en parler plus pour l'instant, vous en reparlerez avec le Directeur de l'école primaire.

Il a remarqué ma grimace de dépit. Il m'énerve à toujours employer des mots savants comme potentiel gnia gnia, personne ne parle comme ça !

Je n'aime pas rencontrer les gens officiels, je me sens toujours en faute. Je flippe comme une malade et pour moi rencontrer les maitresses d'école et les directeurs c'est des gens officiels.

J'ai engueulé Martial en lui disant d'arrêter de savoir des choses, il m'a regardé avec des yeux ronds se demandant comment m'obéir.

J'ai craqué et je l'ai serré dans mes bras en lui demandant pardon et lui aussi il pleure.

J'ai toujours l'impression qu'on me juge et j'ai bien trop conscience de n'avoir personne pour m'épauler.

Enfin j'ai quand même Miranda, les clientes du salon et mon voisin de palier un vieux monsieur adorable. C'est le seul homme que je supporte, en dehors de Martial, Monsieur Parpette. Il ne peut plus sortir de chez lui alors je lui fais les courses, la cuisine et le ménage et en échange, il me garde Martial, ou Martial le garde comme il dit.

Il est perclus de rhumatisme, il a été marin toute sa vie et vit seul désormais, misérable.

Il prétend que nous sommes un cadeau du ciel tous les deux.

Il me laisse tout le palier pour déposer mon bazar et si j'ai une cliente pour mon activité clandestine, il me garde mon bonhomme. Il ne dit rien de mes départs à des heures étranges, il ne me juge pas.

Martial grandit et il faudra bien que j'arrête mes bêtises, un jour ou l'autre car sinon que dira t'il ?

Pour son anniversaire, nous avons été à la plage. Il fait des pâtés qui se transforme en sculpture.

Pas question d'aller dans l'eau pour lui, elle est bien trop froide.

Je regarde les autres petits garçons qui crient et font les fous en jouant au foot.

Martial ne relève pas la tête, il reproduit dans le sable en sculpture, une œuvre qu'il a trouvé sur internet sur mon téléphone.

Il est doué et c'est réussi, ça me fait peur.

Je reçois une notification du site de prostitution j'ai une nouvelle cliente ce soir. Un pseudo inconnu : Carla.

Lise et Carla [GL]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant