74 - Hatred

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Je suis allongé dans le lit d'Ange Coleen, au milieu de draps défaits. Il a sa tête posée sur son oreiller sans taie, droit et silencieux, ses mains sur son ventre, tandis que je suis à l'envers, mes pieds sur l'oreiller et mes cheveux dépassant de la fin du lit.

La vie... N'est plus ce qu'elle était.

Ça fait peut-être... Deux semaines qu'on ne s'est pas dit « je t'aime ». Deux semaines qu'il ne m'a pas appelé « Naochi ». Deux semaines que je ne l'ai pas traité d'idiot.

Parce que nous sommes fanés. Nous ne nous levons pas de la journée, nous traînons dans le lit sans mot dire, nous pleurons parfois, et de temps en temps nous nous levons pour aller aux toilettes. Plus rien ne ressemble à ce que j'ai vécu avec lui, ni dans toute mon existence. Tout a changé.

« C'est cliché comme surnom, « Babe »., soupire-je.

- C'est toi qui l'as choisi.

- Mais tu le trouves bien ?...

- Oui, puisque c'est toi qui l'as choisi.

Je tends mes bras vers l'arrière, et ils pendent dans le vide.

- C'est un peu infantilisant. Ça veut dire « bébé ». Et t'es pas un bébé.

- Tu viens de découvrir que j'ai dix-huit ans, Moana, félicitations., lâche-t-il.

Je me tais un moment.

- Passe-moi la bouteille.

Il s'exécute sans grande force, et je bois au goulot deux gorgées de vodka. Je suis déchiré.

- Arrête de m'appeler comme ça, si le surnom ne te convient pas., rajoute-t-il, morne et livide.

- J'ai pas autant d'inspiration que toi... Comment tu as trouvé « Naochi » toi ?

- J'ai pris des lettres de ton prénom, N, A et O, et j'ai rajouté le suffixe japonais -chi à la fin.

Je hoche la tête.

- Ange..., souffle-je. Gan ?... Nag ?... Gen ?...

Les mélanges des lettres de son prénom ne sont pas concluants.

- Ange Coleen... Ange... Coleen... Anco... Anleen...

- Tout sauf Anleen.

- Pourquoi ?

- Plus personne ne m'appelle comme ça. C'était le surnom d'Axel.

J'acquiesce lentement.

Je ne connais pas Axel mais... J'espère qu'il guide Teora.

- Alors... Ange, en tahitien, ça se dit « mērahi »...

- D'accord, alors appelle-moi Mērahi., grogne-t-il.

Je voulais être réconforté par la douceur d'Ange, mais lui aussi a besoin d'être réconforté. J'ignore comment l'aider alors que moi aussi, je veux être aidé...

- J'sais pas pourquoi... Depuis qu'ma mère a appelé mon père en pleurs pour lui annoncer... Je... Je m'repasse toujours l'même souvenir dans la tête... Le premier jour où Teora et moi on est arrivés en France. En arrivant, j'étais carrément énervé, j'détestais c'pays de merde et j'détestais qu'ma mère nous ait forcé à venir... Alors j'ai pris Teora avec moi, et on a fugué pour la journée. On est allés au parc, elle a joué sur les balançoires pendant des heures, et j'répétais « c'est pas ma maison, c'est pas ma maison, c'est pas ma maison » en boucle. Et t'sais c'qu'elle m'a dit ? Elle m'a regardé droit dans les yeux et elle m'a dit « moi, ma maison c'est là où est Nini ! ».

Moon's flowerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant