86 - Stuttering and tagliatelles

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         J'ouvre peu à peu les yeux, la tête lourde. J'ai l'impression d'avoir fait un long, très long rêve. J'ai la bouche amère d'alcool, et je me redresse d'un coup.

Je suis torse nu, sur le parquet d'un endroit que je ne connais pas, seul. Je regarde rapidement autour de moi, en me frottant la tête, paniqué. Devant mes yeux se dresse une mer calme, des vagues bleues et un ciel clair... Oh... Je suis sur un bateau...

Je me lève d'un bond, mire ma main en vitesse, et hurle de stupeur. Une bague en or, ornée d'un saphir et de diverses pierres bleues, y trône sur mon doigt.

Je-... Je suis fiancé-...

« Je te le jure !! Si, si je te le promets !! Hé, arrête de ne pas me croire !, rit la voix d'Ange.

Il n'est pas dans mon champ de vision, il doit être derrière la cabine, de l'autre côté. J'ignore à qui il parle, et j'ignore encore plus où est passée ma chemise.

C'est vrai, je me souviens maintenant... Après s'être fiancés, on s'est allongés sur le pont, et on s'est déshabillés. Pas pour faire l'amour, non, curieusement on ne l'a pas fait hier. On s'est juste... Câlinés. Pendant des heures. Parfois sans rien dire, parfois en discutant longuement.

Je voulais juste... Le toucher. Ça sonne bizarre, hein ?... Je voulais frôler la texture de sa peau, sentir qu'il était mien, voir les légers grains sur tout son corps. Je voulais tout voir, tout admirer sous un angle nouveau, tout contempler sans un mot. La cicatrice sur son épaule, quatre points devenus albâtres avec le temps. Les boutons d'acné qui parsèment parfois ses épaules. Les plis sur son ventre, qui se sont formés après toutes ses nuits passées à réviser courbé. Les traces de mes baisers, aussi, car il faut dire que je ne m'en suis pas privé. Je voulais juste le toucher.

- Quoi, tu penses que je n'ai pas le courage pour ça ? Qui crois-tu que je suis ? C'est vrai que je bégaye dès qu'il me dit qu'il m'aime mais ça ne veut pas dire que je suis incapable de faire le premier pas ! Hé, arrête de rire !

Ange pouffe encore.

- C'est vrai, c'est vrai... Mais cette fois j'ai été brave !

Il acquiesce une fois, écoutant attentivement les propos de son interlocuteur, puis deux et trois fois.

- Oui. Vraiment. Vraiment, vraiment heureux. Tu ne t'en doutais pas, que j'allais me marier avec lui ? Je te l'ai déjà dit, pourtant. Des centaines et des centaines de fois. Hé ! Je sais ce que je veux, c'est tout. Je n'ai juste... Je n'ai juste pas toujours le courage de m'en donner les moyens.

Il se tait un moment, et soupire.

- Non. Non, je ne lui dirai pas. On ne se parle plus, tu sais. Et c'est mieux comme ça. Et puis qu'est-ce qu'elle dirait, hein ? À part « oh, tu es bien un pédé, c'est ça, va te marier avec l'autre tapette qui te prend pour sa prostituée ! Tu n'es qu'un sac à foutre et maintenant tu en seras un pour toujours ! ». Oh, ne t'inquiète pas. Non, non, je te dis que ça va... Ce n'est pas grave. Hein ? Oui, bien sûr ! Je lui dirai plus tard ! Oui, et à mon père aussi. Oh, oui, il agit toujours comme un vieux bougre renfrogné mais il aime bien Moana ! Si, je te jure ! Il enregistre tous ses combats de boxe ! Non, c'est sûr qu'il ne te le dira pas si tu lui demandes !

Ange éclate de rire, puis change radicalement de voix.

- Non. Je pense que c'est mieux pour tout le monde. Quoi ? Tu as entendu ce qu'il a dit la dernière fois ! Je lui ai donné une demi-dizaine de chances, je l'ai fait pour toi ! Non, c'est peine perdue. Ses remarques homophobes passent encore, ça ne m'atteint pas. Ce n'était pas pareil à son époque, ce n'était pas aussi courant. Mais quand il est raciste-... Quoi ?! Qu'est-ce que tu veux que je fasse, que je ne réponde rien ? Je ne peux pas le laisser dire des atrocités pareilles ! Oui, je sais qu'il est trop tard pour qu'il change mais ce n'est pas le problème !

Moon's flowerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant