87 - I don't love you anymore

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Ange se tient droit devant la porte d'entrée, et je reste en retrait, silencieux. Il n'y a aucune voiture devant la maison et les volets sont fermés. Il caresse le bois de la paume de sa main, d'un air vide, et sort une clé de sa poche.

Un petit porte-clés rose en forme de « G » y est accroché, et la clé est légèrement abîmée. Il l'enfonce dans la serrure, tourne, et la porte s'ouvre.

« Je suis rentré...

Ange entre, et se plante dans l'entrée. Il regarde le canapé blanc sans émotion, avant de s'accroupir devant. Il pose sa main sur le coin d'un coussin et retire la couverture qui le cachait.

- Elle n'a pas pu la faire partir, hein...

Ci-gît une trace d'éclaboussure marron. Je n'ai pas besoin d'être aux affaires criminelles pour deviner qu'il s'agit de sang séché.

Il se lève, et tout en marchant il fait glisser sa main sur une étagère, remplie de bouquins et de diplômes divers. Il s'arrête un moment devant le cadre, une photo d'un lui plus jeune souriant avec sa sœur scellée sous une plaque de verre, et reprend sa route. Il déambule dans cette maison déserte et terrifiante, si hantée par ses cauchemars que je ne peux marcher sereinement.

Lui, au contraire, semble paisible. Il parvient à la cuisine, et ouvre le réfrigérateur. Un nombre incalculable de bouteilles presque vides y traîne, avec des boîtes plastiques de plats tout préparés. Des plaquettes de cachets éventrées encombrent le plan de travail, et en ouvrant le plus haut des placards, Ange y trouve trois bouteilles d'Ice Tea, et une de jus de pomme. Il pousse un long soupir, et regarde silencieusement les aimants du frigo. Des magnets d'une carte de France incomplète se mêlent aux photographies d'un voyage familial à Salt Lake City. Pour être honnête, j'ignore où c'est. Une note est également accrochée « rdv Sybille mardi 17h30 ».

Ange reste quelques instants à contempler sa photo de famille : ses parents, sa sœur et lui, fatigués mais heureux devant un immense canyon rouge.

Il se ressaisit et je le suis jusqu'à la pièce des toilettes, qu'il observe avec nostalgie. Il pousse un des carreaux mal collé au mur, et y lit des tas d'inscriptions gravées dans la sous-couche.

« It's gonna be okay ! :) »
(« Ça va aller ! :) »)

« You are worthy ! She loves you anyway ! You are doing great ! »
(« Tu as de la valeur ! Elle t'aime quand même ! Tu te débrouilles bien ! »)

« I want to die. »
(« Je veux mourir. »)

« Take my life already. »
(« Reprenez ma vie. »)

« She loves you, you will see ! »
(« Elle t'aime, tu verras ! »)

C'est presque comme si je pouvais imaginer un petit Ange, couvert de bleus, assis en pleurant sur la cuvette des toilettes, recroquevillé. Il graverait du bout de son ongle ses pensées sous le carrelage, la trousse à pharmacie posée dans le lavabo, et il prétendrait avoir besoin d'aller aux toilettes pour se cacher de sa sœur. Je peux le voir. J'entends ses pleurs. Je sens la douleur qui s'émane des murs de cette pièce exiguë.

Ange, celui du présent, sort et monte les escaliers sans se préoccuper des cassures sur les marches de bois. Je sais très bien comment elles ont été faites mais j'essaye de ne pas y penser. Il pénètre dans la salle de bain, et y regarde la baignoire. J'y aperçois trois traces d'usure sur le rebord, deux verticales et une ronde, et je ne comprends pas comment on peut utiliser cette partie-là d'un bain.

Mais Ange s'agenouille devant, et pose ses deux avant-bras au niveau des traces verticales et son menton sur la trace ronde. L'usure prend finalement sens.

Moon's flowerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant