Chapitre 32

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Alors voilà. Thomas vient de gagner une bataille qui m'anéantie. Si ce n'est pas la guerre. Hier soir j'ai tout annoncé aux autres. Kloé avait organisé une petite soirée, comme à nos habitudes. Personne n'a compris sa décision, hormis West. Il est tout aussi triste que nous tous, pourtant j'ai pu voir en lui une sorte de joie. Une fierté pour son ami et pour cette décision. L'attentat qu'a provoqué Samantha à coup de balles réelles, pour venir se planter au creux de nos sentiments, de nos faiblesses, est une réussite. Elle doit être fière, à jubiler. Mais elle est seule maintenant. Vraiment seule alors je ne peux que ressentir que de la pitié pour elle.

Comme West, j'aimerais ressentir ce qu'il ressent, j'aimerais ressentir de la joie pour Thomas, j'aimerais me dire que c'est mieux pour lui. Je devrais peut-être même être heureuse. Mais je n'y arrive pas, je suis beaucoup trop égoïste pour ça. La vérité c'est que je ne ressens rien. Comme si mes sentiments s'étaient envolés. Je pense que mon esprit les a envoyés passer des vacances pour me protéger de toute cette tristesse qui devrait m'accabler. Ou peut-être que je ressens beaucoup trop de chose en même temps pour ressentir réellement quelques choses. Ou alors je ne sais juste pas comment le décrire. Tout ça se transformera en haine. C'est certains, ça a toujours été comme ça. Si je revois Thomas un jour, je ne pourrais que le haïr de m'avoir planté au moment où j'avais le plus besoins de lui. Je ne sais pas lequel de nous deux est le plus égoïste quand j'y pense. Mais on est comme ça. De toute façon c'était inévitable.

Les premiers interrogatoires ne vont pas tarder à arriver. Tout le monde est prêt à témoigner. Même Lindsay, après des minutes et des minutes de négociations. La seule qui demeure introuvable et injoignable c'est Samantha. Mais je doute qu'elle ait envie de me rendre un service comme ça. Tout le monde est là pour moi et pourtant, je me sens encore vide. Mon crane est pourtant plein de souvenirs maintenant. Je ne me souviens pas de tout. Comme cette soirée qui reste floue. Mais l'essentiel y est je pense. Et puis maintenant le temps n'est plus compté. Depuis que je me suis réveillée du coma dans lequel on m'a plongé, je n'ai eu qu'une chose en tête : retrouver qui m'a fait ça. C'en est devenu ma raison de vivre et maintenant que c'est fait je me sens encore plus vide. Moi qui pensais que ça allait être le contraire. Je suis qu'une idiote.

Peut-être que je me trompe depuis le début. J'ai toujours pensé que j'étais vide de souvenirs, vide, comme lorsqu'on se réveille d'un coma en aillant l'impression d'être née, ce jour-là. Alors qu'en réalité vous êtes née il y a seize ans. Seize ans effacés de votre mémoire. Peut-être que je me trompe. Je ne suis peut-être pas vide de mes souvenirs. Non. Je suis peut-être simplement vide de tous sentiments. Oui, je crois que c'est ça. Je ne ressens rien, plus de haine celle qui m'anime depuis tant de temps, plus de tristesse, je n'ai pas envie de sourire, et encore moins de pleurer. Une sensation pourtant familière, mais qui me paraît si lointaine. Comme si tout ce que j'avais ressenti ces derniers jours n'était qu'une illusion. Une très jolie illusion. Un paradis, où je fleurtais avec l'interdit, comme une idylle utopique, un mirage.

Au final Thomas avait tort lorsqu'il a dit que lorsque j'obtiendrais ce que je veux je partirais. Il m'a traité d'égoïste, et au final, c'est lui qui s'en va. En même temps, nos caractères sont si similaires. Ce n'est pas étonnant. Mais lui il s'en va alors que la guerre n'est pas terminée, comme un lâche, un déserteur. J'avoue avoir hésité. J'avoue avoir eu envie de partir un instant, et fuir loin de tout. Comme en quête d'un paradis inexistant.

Impossible.

Le soleil levant, marquant l'aube, colore d'une lueur orangée les pierres tombales devant moi. Les quelques nuages présents s'amusent à faire de l'ombre, jouant avec le soleil qui devient de plus en plus grand. Eclairant presque toute la jolie vallée. Une brise légère vient chasser mes cheveux, m'apportant le doux parfum et les quelques fleurs qui s'échappent du grand cerisier japonais. Il prône de toute sa grandeur, comme le gardien des âmes de la vallée. Je pose mon casque de moto sur le sol. Nous avons erré toute la nuit. Comme des âmes en peine qui cherchent leur chemin. C'est ce que nous sommes en même temps. Enfin, ce que je suis.

Les deux pierres devant moi sont les plus garnies de fleurs. De la vie sur quelque chose de mort, c'est absurde quand on y pense. Toutes ces couleurs qui nous feraient presque oublier le sinistre qui habite tous cimetières. Des fleurs innocentes qui apportent de la joie faisant oublier la tristesse aux personnes qui viennent se recueillir. Les plus jolies pierres tombales de tout le cimetière. Il faut toujours de la concurrence partout. Celle d'à côté n'a pas une fleur, pas un mot, elle semble sale et mal entretenue. En même temps je ne suis personne pour juger. Si ça ne tenait qu'à moi les deux pierres devant moi seraient dans le même état.

Désolée papa, désolée maman de vous avoir ôté la vie, de n'être jamais venue vous voir dans ce coin si paisible, si mort. Désolée de ne pas être celle que vous auriez aimé que je devienne. Désolée d'être aussi vide.

Il me reste encore beaucoup à apprendre de la vie, mais encore plus des autres.

Tony Pose une main sur mon épaule.

- On y va ? demande-t-il.

- Allons y.

Nous rejoignons sa moto, nous l'enfourchons, il démarre le moteur et nous partons loin de cet endroit. J'écarte les bras dans le vent appuyant mes cuisses contre le métal noir de la moto. Le vent passe dans mes cheveux comme un avertissement. Et Tony accélère. Nous déambulons seuls, dans le doux bruit du moteur, à l'heure où l'aube se lève et où tout le monde dort encore.

Fin

Vide de souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant