8.Jardin des Deux-Rives

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ZEE

Je suis stressé, non, je crois même que je panique carrément là. Debout devant cette maison qui m'a accueilli des années durant alors que je faisais tout pour fuir mon propre foyer, je me sens aujourd'hui comme un étranger. Comment vont-il prendre mon absence de six ans ? Sans jamais être revenu ne serait-ce qu'une petite semaine, me contentant d'appels téléphoniques et de messages. J'imagine que ça les a heurté, c'est évident, quoique Titan est certainement celui qui l'a le mieux vécu, comme il est venu me voir très souvent à Montpellier.

Mais qu'en est-il de Sumalee et Narawit, mes parents d'adoption en quelque sorte ? Et de Saint ? Lui qui a refusé de m'adresser la parole de longues années jusqu'à son appel il y a un an pour m'informer de son choix de devenir pâtissier, tout comme moi. A vrai dire, je suis mort de trouille, mon ventre danse la polka alors que mon cœur pulse au rythme de l'hymne national... Pourquoi l'hymne national ? J'en ai foutrement aucune idée, lorsque je suis nerveux, je ne réfléchis plus correctement.

J'avance à pas lents, ouvre le portillon, le referme doucement derrière moi et fixe la petite maison au jardin fleuri avec appréhension. Mon sac semble peser une tonne sur mes épaules, les valises que je me traine sont comme engluées au sol, je regrette même un court instant de ne pas avoir opté pour l'hôtel le temps de trouver un logement. Mais l'hôtel coûte si cher et je n'ai pas de boulot, j'aurais tenu quoi ? Quelques semaines avant que ma maigre épargne disparaisse comme neige au soleil ?

Un pas, puis un autre, toutes les émotions qui gravitent en moi sont contradictoires, je suis à la fois heureux de les retrouver, mais je me sens toujours coupable de l'état d'esprit qui m'habitait lorsque je suis parti, cette jalousie qui me rongeait chaque jour un peu plus. Aujourd'hui, l'envie qui me parasitait a disparu, enfin, j'en ai l'impression, ce qui ne fait que renforcer ma culpabilité, celle de les avoir mis de côté si longtemps alors qu'ils ont été une véritable famille pour moi.

- Zeeeeee !!!

Je sursaute et lève la tête alors qu'une petite forme brune et échevelée se jette sur moi, son parfum d'antiseptique et de talc m'enveloppant aussitôt, me renvoyant des années plus tôt, lorsque gamin, elle me prenait dans ses bras pour me réconforter de mes bobos.

- Comme je suis heureuse de te voir ! s'exclame Sumalee en me détaillant de la tête aux pieds, un sourire lumineux peint sur les lèvres. Oh la la mais quel bel homme ! En vrai c'est autre chose qu'en photo ou vidéo ! Tu es divin, tu as dû en briser des cœurs dans le sud !

Je n'ai même pas le temps de répondre qu'elle me prend par le bras pour m'entrainer à l'intérieur tout en fredonnant gaiement. Elle est si petite, je me suis toujours demandé comment Titan pouvait être un tel monstre alors que sa mère est minuscule et que son père est un peu plus petit que moi. J'observe sa silhouette fine et nerveuse, son visage dépourvu de maquillage laissant dévoiler des cernes plus prononcées qu'à l'époque, la vie d'urgentiste est épuisante. Je remarque les quelques cheveux blancs qui strient sa masse brune et décoiffée, bien sûr, Sumalee n'est pas du genre à se jeter sur la première teinture qui passe pour cacher ses « marques du temps » comme elle aime les appeler.

- Zee ! Mon garçon ! On ne t'attendait plus, j'ai failli ne pas t'écouter et venir te chercher à la gare !

- Bonjour Narawit, je souffle timidement alors qu'il me débarrasse de mes affaires avant de me faire une franche accolade. Je pensais que tu travaillerais, avec Sumalee.

- Quelle idée ! s'esclaffe-t-il en me tapotant le dos. On a posé congé pour d'accueillir, c'est pas tous les jours que mon troisième fiston rentre au bercail !

Hate Loving YouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant