33.Aie confiance

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AKSIL

- Magne ton cul, bordel.

Le buraliste me fait un doigt d'honneur en attrapant le paquet de clopes que je lui ai demandé.

- Je vais aller me plaindre à ta hiérarchie, grommelle-t-il en mettant trois plombes à m'encaisser.

- Tu n'es pas en train de suivre un de mes cours là, c'est moi qui vais aller râler direct à ton patron pour ta lenteur.

- Je suis mon propre patron connard !

Nous affichons le même sourire en coin alors qu'il me rend ma carte bleue et me donne, enfin, mes cigarettes.

- Je comprends pourquoi tout le monde me dit d'acheter mes clopes en Allemagne, je grince en les fourrant dans ma poche. Moins chères et avec des vendeurs plus sympas, rien à voir avec toi.

- Je suis à l'image de mes clients.

- Alors essaie d'être un peu plus beau gosse comme moi, je rétorque tandis qu'il me gratifie d'un second doigt d'honneur.

Je jette un rapide coup d'œil à travers la fenêtre et m'aperçois que l'averse a gagné en intensité.

Merde, il va être trempé.

- Bon ben à demain soir, je lance au quadragénaire en gagnant la sortie.

- Tu as intérêt à être en forme, je raque pas trente balles par mois pour voir un papi tapoter sur un punchingball.

Cette fois-ci, c'est moi qui dégaine mon majeur, juste avant que la porte ne se referme derrière moi. Je me rends compte qu'Elouan n'est plus là, avant de voir au loin sa petite forme rouge, à l'abri en-dessous d'un auvent appartenant à une boutique de chaussures. Je me dépêche de le rejoindre, puis finis par ralentir mon allure, jusqu'à totalement m'arrêter sous la pluie, les mains dans les poches, mon regard focalisé sur lui sans qu'il ne le remarque.

En temps normal, les gens ont tendance à triturer leur téléphone lorsqu'ils sont seuls ou qu'ils attendent quelqu'un, rester inactif est devenu très rare en 2021. Pourtant, lui, n'a pas son portable dans la main ou des écouteurs vissés aux oreilles. Il se tient juste là, adossé contre les briques rouges, en train de souffler sur ses doigts écarlates à cause du froid, ses grands yeux rivés vers le ciel.

Quelques gouttes dévalent ses cheveux et son visage pour disparaitre dans le col remonté de sa doudoune, son petit nez retroussé est aussi rouge que ses oreilles, ses lèvres d'une finesse déconcertante sont un peu sèches et blêmes, si fragiles que les températures négatives des derniers jours ne les ont pas épargnées.

Il y a du bruit autour de nous, les rues sont noires de monde, la circulation est dense, pourtant je n'y prends pas garde. Je l'observe, encore et encore, le ventre noué et la gorge serrée. Je ne le lâche pas des yeux malgré la pluie qui me brouille la vue et le vent frais qui me fouette le visage, je suis comme happé par ce que je vois. Il n'a rien de spécial, cette scène n'est pas particulièrement belle ou romantique, ce n'est qu'un instant volé dans un quotidien tout ce qu'il y a de plus banal.

Les gouttes d'eau. Les lèvres sèches. Le souffle qui les franchit pour venir caresser les petites mains. Le nez et les oreilles écarlates. Les yeux perdus dans le ciel gris et morose.

Il est beau.

- Hey ! Tu es là ! s'écrie-t-il brusquement, enfin conscient de ma présence. Mais ne reste pas là, tu vas finir trempé !

Il se précipite vers moi, manque de trébucher sur je ne sais quoi et arrive à ma hauteur, le sourire aux lèvres. Son sourire.

- Allez viens, allons nous réchauffer chez toi !

Hate Loving YouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant