● Journal de Louis.

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Ironie du sort?

Louis Tomo, 15.02

Ça fait longtemps que j'ai pas écris ici, et honnêtement je ne saurai pas te dire si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle.
Je suis parti, j'ai fuis en Normandie. Pour la énième fois, peut-être la sixième ou la septième?
Je suis resté plus longtemps. Que les autres fois j'veux dire. Je suis resté presque deux semaines.
Et j'ai beaucoup réfléchi, comme toujours, mais encore plus là, parce que j'avais rien à faire d'autre. Pas de gens, juste moi et mes pensées.
Et j'ai besoin de les placer quelque part. Alors me voilà, prêt à noircir ces pages blanches à nouveau.
Tu m'excuseras si c'est bancale? Je suis dans une voiture.

Bref.

Tu sais, bizarrement, mon arrivée en Normandie m'a beaucoup fait penser à ma famille. Enfin non, c'est pas bizarre vu que j'étais dans un lieu de souvenirs. Mais ça m'a fait mal, de repenser à tout ça. Je me suis souvenu de moi enfant, et j'ai eu envie de pleurer.
Parce que, depuis l'enfance, j'ai toujours vécu avec le besoin de savoir que quelqu'un pouvait être fier de moi. J'ai couru après la fierté de mon père jusqu'à l'épuisement, et surtout jusqu'a ce que je me rendre compte qu'elle n'arriverait sans doute jamais. Je suis la déception, le bizarre, le chiant de la famille. J'ai toujours eu l'impression qu'ils me détestaient tous, parfois. Surtout lui. Je n'ai rien fais que de le décevoir, il avait toujours l'air déçu. Je n'ai jamais reçu, de personne, jamais, un "je suis fier de toi" (sauf de Ryse, mais entre nous, Ryse est un cas à part, comme toujours, n'est-ce pas?). Et bien sûr que ça m'a atteint. De ne pas avoir reçu ce genre de phrase, ni de reconnaissance de personne. Ça m'a atteint énormément. Bien plus que le supportable.

Ça m'a abîmé bien plus que je ne me l'assume, je crois.

Parfois, je me dis que je suis jaloux des autres. Jaloux parce que quand j'avais encore des gens autour de moi, ils étaient toujours là à raconter pleins d'anecdotes sympas avec leur famille, alors que moi je n'en avais aucune. Jaloux parce qu'ils ont une vie familiale normale. Et pourtant, parfois je me dis aussi que j'en fais trop. D'un point de vu extérieur, je ne suis pas à plaindre.
Mes parents ne se disputent jamais (du moins quand j'étais là, ils ne se disputaient pas), étaient présents tous les soirs, et même pendant les vacances, ils posaient des journées pour nous. Mes frères et sœurs et moi.
Et pourtant...
Mais peut-être que j'en fais trop après tout, justement parce que je ne suffit pas à mes parents, parce que je ne suis pas parfait. Peut-être que je me plains parce que je ne suis pas assez, pas pour eux, pour lui du moins, et que c'est entièrement de ma faute.
Parce que évidemment que je ne suis pas assez. Je n'ai jamais été assez, je ne le serai probablement jamais, et je le sais.
Je suis parti de chez moi juste après avoir eu mon bac. J'ai fuis. J'ai vraiment fuis. Parce que je crois que je n'aurai pas réussi à tenir plus longtemps avec tous ces rappels de combien je n'étais qu'un incapable, là seulement pour décevoir. Sans avenir aussi. Je n'ai pas supporté qu'on dénonce comme ça mes défauts. Parce que peut-être que j'étais trop lâche pour me les assumer, que j'étais dans le déni, qui sais? Maintenant, je les connais parfaitement, mes défauts. C'est simple, ils me décrivent.

Je suis parti de chez moi avec Ryse. Lui aussi il a fuit sa famille. On a fuit nos vies. Et on a essayé de se reconstruire tous les deux. Mais comment se reconstruire lorsque nous n'avions pas les bases de la construction de soi?

J'ai connu Ryse en maternelle. Il avait d'énormes problèmes à la maison, chez lui. Il n'a jamais connu que les cris et les larmes comme ambiance de maison. C'est sans doute ce qui a provoqué son trouble déficitaire de l'attention à prédominance hyperactive-impulsive. Il était très turbulent. Il a toujours été turbulent. Et moi j'étais sa force tranquille. On se complétait bien. Mais je n'ai pas beaucoup de souvenirs de cette époque, ni de la primaire non plus. Je sais juste que Ryse me défendait souvent. Se bagarrait souvent. Et qu'il passait aussi beaucoup de temps chez moi. Énormément. Parce que ses parents l'abandonnaient. Ils s'en fichaient, de ce que Ryse faisait, de ce qu'il ferait ensuite pour son avenir.

Martyre.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant