Retiens moi*

18. Lexy

Nous nous tournons tous les deux vers la mer en silence. Une vieille dame promène son chien qui reste sagement à ses côtés. Elle semble ne pas nous voir, ne pas se soucier de nous, comme si elle était seule au monde. Elle semble perdue dans ses pensées. Peut-être qu'à cet âge là, lorsqu'on sent que la fin approche, on se renferme dans une espèce de bulle qui nous permet de revivre les meilleurs moments de notre vie. Elle a un léger sourire aux lèvres. Peut-être ne suis-je pas si loin de la réalité. 

- Je n'ai jamais réussi à m'imaginer vivre aussi longtemps que cette dame, je lui révèle comme si je continuais ma réflexion dans ma tête. Je me suis toujours dit que je mourrais jeune. (Il ne me regarde pas comme s'il ne voulait pas m'arrêter, ou alors qu'il ne m'écoute pas du tout et ça m'arrangerait!). C'est peut être que je n'ai jamais connu mes grands parents ... que la seule personne que j'ai vraiment connu d'adulte est ma mère et qu'elle est loin d'avoir cet âge-là... 

- Et ton père? me demande t-il.

- Il est mort, j'avais cinq ans.

- Désolé.

- Ca fait longtemps, je le rassure. J'y pense encore de temps en temps mais la douleur est passée à présent. Mais je pense que ça a fait de moi ce que je suis et par moment, j'oublie que j'ai eu un père.

- C'est triste.

- Mais c'est ainsi, je lui réponds fataliste, après plusieurs secondes, je reprends. Je n'ai pas peur de l'eau.

- Ah non?

- Ma mère m'a trouvé au fond de la piscine, je venais de perdre mon père, je lui raconte. Elle a refusé ensuite que je prenne des cours de nage, que je ne m'approche de l'eau. La mer, elle ne sait pas que j'y trouve mon refuge même si je ne tente pas la baignade. 

- Que faisais-tu au fond de l'eau?

- J'attendais, je lui réponds.

Il hausse les épaules comme s'il valait une évidence.

- Ferme les yeux, m'ordonne t-il en se tournant vers moi. 

- Pardon?

- Ferme les yeux, Lexy, fais-moi confiance!

Et étrangement, oui, j'ai envie de lui faire confiance mais mon cœur se met à battre. Mais non Lexy il ne va pas t'embrasser comme dans les films romantiques! Une fille comme toi ne se fait pas embrasser un soir, sur la plage, par le plus convoité des lycéens de son bahut! Reviens sur terre!

Je ferme les yeux et le sens allonger mes jambes. Je pose mes mains derrières mon dos pour maintenir mon dos tandis que j'écoute le son de sa voix.

- Je voudrais que tu me décrives ce que tu vois, maintenant... me demande t-il.

- Noir... j'ai fermé les yeux... je ricane.

- Je voudrais que tu replonges dans cette piscine... commence t-il et je sens qu'il pose une main sur ma jambe, ça me trouble. 

Je fronce les yeux. Je plonge dans cette piscine. Je ressens la fraicheur de l'eau et me détends. Je sens l'iode. Forcément, je suis au bord de l'eau. Je bruit des vagues me ramène vers elle et je plonge dans l'océan. Mon esprit part tout seul vers cette direction et je le laisse faire. L'eau envahie mes poumons. J'avance sans craindre la noyade. Je ne peux pas me noyer. Je nage et croise un banc de poissons. Ils viennent se frotter à moi et je frissonne à ce contact.

- Que vois-tu? me demande Ethan que j'avais oublié.

- J'ai rejoins la mer... je lui raconte. Les poissons sont autour de moi. 

Que fais-tu Ethan?

- Décris-moi...

Je nage et profite. Parler me ferait ouvrir la bouche et je sais que je n'ai pas besoin de communiquer dans mon élément. Inutile de gaspiller cette énergie purement humaine!

C'est tellement bleu! 

Je veux tout voir! C'est comme si je l'avais vécu mais en étant spectatrice! Je tourne sur moi même et un visage me sourit. Je sursaute et ça me renvoie sur la plage, aux côtés d'Ethan.

- Qu'est-ce que tu as vu? me demande t-il comme s'il savait.

L'eau, le monde marin, le bleu à perte de vue et lui. Lui qui hante mes nuits depuis mon adolescence. Lui que je viens de croiser dans cet eau, lui qui nageait à mes côtés comme si c'était naturel. Mais que je n'ai jamais vu de ma vie! Une sorte de fantasme d'une adolescente en mal d'affection ! Ce visage reste toujours près de moi comme s'il avait été important pour moi et qu'il me manquait. 

- J'ai vu... de l'eau... je lui réponds en évitant soigneusement de lui parler de mon fantasme masculin nageant à mes côtés. 

- Tu n'as jamais mis les pieds dans la mer, Lexy? s'étonne t-il. Tu habites à Atlantes et tu ne t'es jamais baignée!(je lui fais non de la tête). Voilà une chose qu'il faudra corriger! Pourquoi tu portes des lunettes? 

- Comment ça? 

- Tes lunettes n'ont pas de correction, Lexy, pourquoi tu en portes? (j'hausse les épaules). Pourquoi cherches-tu à éloigner les autres de toi? 

Il attrape le nœud qui retient mes cheveux et les libère. Je me sens comme dans une comédie romantique mais son regard change lorsqu'il retire mes lunettes. Et soudain, il me fait peur. Ce n'est plus un regard amicale mais bien un regard de haine et de souffrance que je ressens à travers tous les pores de sa peau. Il me hait!