Les Tréfonds de L'âme

CHAPITRE VIII

  Il était cinq heures et demie du matin. Face au miroir froid de la salle de bain, je me tenais debout bien que péniblement, les genoux légèrement fléchis. J'avais les yeux rivés vers le bas, cherchant le courage de les lever. J'avais peur, peur de ce que j'allais voir, peur de ne pas savoir si je supporterais ce que j'allais voir.

    Au bout d'un temps que je ne saurais déterminé, je levai lentement la tête. Je plongeai les yeux dans le reflet en face de moi. Je sus à cet instant-là que si je réussissais à survivre à ce que je voyais, j'allais vivre encore longtemps.

    C'était l'horreur. Mon visage était enflé de partout, rouge et violacé. J'avais les joues gonflés et l'œil gauche au beurre noir. Mes bras portaient les traces des coups que j'avais tenté d'éviter. Je frôlai lentement du doigt mon visage, en retenant bien que mal mes larmes. la douleur était bien palpable. Cela faisait bien longtemps que ça n'était plus arrivé, depuis environ deux mois. Mais ça avait recommencé le soir d'avant.

     Le coup de poing au visage que j'avais reçu de mon mari n'était plus rien comparé à tout ce que je supportais depuis. Cela faisait bien neuf années que j'endurais cela.

    Vladimir avait recommencé à me frapper. Je ne peux pas dire qu'il le faisait tous les jours. Mais il le faisait quand même. Et je peux le dire aujourd'hui, c'était grave et ça ne l'est pas moins parce que ça n'arrive que quelques fois. Au début, j'avais essayé. Essayé de trouver une raison pour expliquer son comportement. Essayé de trouver en mon comportement ce qui n'allait pas, ce qui pouvait bien l'énerver autant.

Au bout d'un moment, j'ai fini par comprendre. Et dès lors, j'ai cessé de trouver des raisons pour justifier les accès de colère de Vladimir. Comme toujours, j'avais cherché une explication,une raison. Parce que pour moi, il devait sans doute y en avoir une. La vie en elle-même avait sans doute une raison.

Je l'ai compris aujourd'hui, le malheur, lorsqu'il veut s'abattre sur vous n'a pas besoin de raison. Il n'arrive que parce qu'il doit arriver, il n'y a rien que vous pourriez y changer. Tout comme ma mère n'avait pas d'explications lorsqu'elle m'enfermait pendant des heures dans le noir, mon mari n'avait pas d'explications lorsqu'il me battait parfois.

Le plus déroutant dans cette histoire, comment est ce qu'en seulement neuf années les choses avaient pu autant changer ? Comment en neuf années mon mari avait pu devenir mon bourreau et moi son esclave ? Tant de questions, que l'on aurait dit que ma vie entière était une  question. Il y en avait depuis toujours. Depuis longtemps.

    Le temps était passé, la vie avait changé. Mon fils Guillaume, tel que je l'avais prénommé, avait bien grandi et n'était plus ce petit bout d'être, dépendant permanent de moi. Il avait déjà neuf ans, devenait autonome. C'était un garçon joyeux, éveillé, agité mais également sensible et tout le temps en besoin constant d'attention. Une vraie boule d'énergie, qui réussissait toujours à m'arracher le sourire.

    Mon beau-père était décédé, quelques mois après mon accouchement, laissant pour principal héritier son enfant unique, Vladimir. Ainsi, tout avait changé pour Vladimir et moi. Des travaux de rénovation et d'agrandissement avaient été faits dans l'intégralité de la maison. Nous ne disposions plus d'une seule domestique mais de plus d'une dizaine de pour l'entretien de la propriété. Mon époux enchaînait les voyages de partout, lançait des investissements et avait même créé des comptes bancaires pour mon fils et moi.

    Notre style de vie n'avait fait qu'évoluer. Parallèlement à cela, je m'étais investie quasi entièrement dans des œuvres caritatives. Je ne travaillais plus, bien qu'ayant en poche un Master en Marketing et Communication. Vladimir ne trouvait plus nécessaire que sa femme, déjà bien nantie, ait à postuler pour << un emploi minable>> alors que lui possédait suffisamment d'argent pour toute la famille.