ÉPILOGUE

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<< Bonsoir à tous, mesdames, mesdemoiselles et messieurs. Je vous remercie pour votre présence ce soir. C'est plus qu'un honneur pour moi, de savoir qu'autant de personnes ont pris la peine de m'accorder leur temps pour cet événement qui me tient tant à cœur.

Il y a quelques années encore, je me serai sentie très gênée de me tenir devant une foule pareille, bien que n'ayant pas souvent le trac. J'aurais préféré m'effacer et ne pas m'exprimer, s'il s'agissait d'un sujet comme celui-ci. Je crois bien qu'aujourd'hui ce n'est plus le cas.

Les nombreuses personnes qui me connaissent déjà doivent être habituées à me voir dans ce genre de cérémonie. Je dirige en effet de nombreuses associations caritatives. Mais de toutes celles que j'ai déjà dirigées, celle ci m'est la plus importante.

Sans vouloir m'en vanter, j'ai pris l'habitude de venir toujours en aide aux autres autour de moi. Et j'en ai oublié que moi aussi je pouvais avoir besoin d'aide. Je me suis braquée et j'ai tout porté sur moi. Parce qu'à défaut d'être la solution, je ne voulais pas être le problème.

Ça prendrait trop de temps si je me mettais à vous raconter ma vie. On pourrait en faire un roman. Bref, tout ça pour dire qu'aujourd'hui je vous annonce officiellement l'ouverture de la Fondation Sainte-Marthe. Un refuge pour toutes les âmes brisées, toutes les âmes en peine. Cet endroit porte le prénom de ma mère. Si on m'avait dit que je ferai un jour une telle chose pour elle, je l'aurai nié de toutes mes forces. Mais bon, la vie est imprévisible hein ?

Que pourrais-je ajouter de plus avant de vous laisser profiter des festivités ? Si jamais à un moment ou un autre, vous sentez que vous allez être submergé par toute la négativité qu'il y a en vous, car oui nous avons tous cette petite part d'ombre, eh bien ne rejetez pas cette partie de vous, ne cherchez pas à la faire disparaitre. Puisez justement votre force de là.

Ça peut paraître fou mais croyez moi, vous vous sentirez mieux. Chaque épreuve difficile est affligée en fonction de la capacité à la surmonter. Si vous trouvez l'amour où il n'y a que haine, si vous trouvez joie où il n'y a que peine, alors vous avez compris le principe de la vie. Vous avez souffert, ne permettez pas que ça arrive aux autres. Devenez chaque jour quelqu'un de meilleur, au travers des autres.

Merci encore à tous pour votre aimable attention, passez une excellente soirée et amusez vous surtout.>>

Ma dernière phrase a quasiment été interrompue par la pluie d'applaudissements, qui a retenti dans toute la salle. Près de deux cents personnes réunies pour l'inauguration de la Fondation Sainte-Marthe. Je n'ai pas pu retenir les larmes, qui glissaient doucement sur mes joues.

Dans la foule, je reconnaissais Oscar qui tenait la main de mon fils Guillaume. Tous les deux étaient vêtus de costards noirs pour l'occasion. Un peu plus loin, je pouvais apercevoir Maria-Odile, je l'appelais désormais ainsi. Dans un coin, je voyais mon père qui ne cessait d'applaudir aux côtés d'Isidore et sa fille Marthe.

J'ai descendu les marches du podium, sur lequel je m'étais tenue pour faire mon discours. Embrassant au passage quelques connaissances, je me suis ensuite dirigée vers l'extérieur. J'avais besoin de prendre de l'air.

Debout sur le seuil de la salle des fêtes de Douala Bercy, je me suis mise à observer la route en face de moi, où défilent divers véhicules, klaxonnant et vrombissant sans cesse. Les lumières des phares, de habitations et magasins autour. C'est une soirée plutôt mouvementée.

- C'était très beau ton discours

Au son de la voix d'Oscar qui s'est tenu juste derrière moi, j'ai presque sursauté. Il m'a sans doute vu sortir de la salle et m'a suivi.

- Merci Oscar

- Tu as été très courageuse, en fait tu es courageuse. Regardes un peu tout ce que tu as accompli. Je suis tellement heureux pour toi. Ta mère où elle se trouve, l'est aussi. J'en suis sûr, m'a t-il complimenté en dévoilant son grand sourire

- Oui moi aussi, moi aussi. Par contre elle trouverait très drôles que je nomme cette fondation Sainte Marthe, ma mère ne se croyait pas sainte, elle n'en était pas une. Elle n'a jamais eu autant d'estime pour elle-même. Au moins, je lui rends ce service, ajouté je en souriant

Je me plonge dans mes pensées en repensant aux événements des derniers mois. Le divorce entre Vladimir et moi a été prononcé. Depuis, j'ai quitté la maison avec Guillaume, dont le tribunal m'a accordé la garde entière.

Son père n'est aujourd'hui plus en état de faire quoique ce soit pour lui. L'idée de porter plainte pour tous les sévices qu'il m'a infligés par le passé, m'a effleuré l'esprit. Mais en retournant chercher mes dernières affaires chez lui, je suis tombée sur un Vladimir méconnaissable, dépressif et anéanti qui m'a dit avoir tout perdu.

L'existence faussement parfaite qu'il a lui-même fabriqué, l'univers qu'il désirait à n'importe quel prix préserver,
s'est effondré. Sa vie politique s'est vue détruite par le scandale causé par notre divorce. Il vit aujourd'hui reclus chez sa mère. Le désastre familial a fini par impacter sur le reste de sa vie, il a perdu une bonne partie de ses investissements.

Le bon Dieu lui fait déjà payer ses erreurs, je pense qu'il n'est plus nécessaire d'en rajouter. Il m'a supplié de lui pardonner ses fautes, mais je crois qu'il devrait déjà se les pardonner lui-même.

Je souhaite juste à Vladimir de se rétablir et de trouver la paix, autant que moi aujourd'hui. Je me suis libérée de mes démons, lui aussi a peut-être besoin de faire pareil.

- Dis moi, tu penses à te mettre avec quelqu'un un jour ? Me demande Oscar, en m'extirpant ainsi de mon monologue intérieur

- Hmm je ne sais pas vraiment. Vladimir a été le seul homme que j'ai connu dans ma vie. Peut-être que je me mettrai avec quelqu'un d'autre. Peut-être aujourd'hui, peut-être demain, peut-être jamais. Je n'en sais rien Oscar et franchement je m'en fous.

- Peut-être que cette personne est plus près de toi que tu ne le penses...

- J'en suis également convaincue, dis je en lui faisant un sourire du coin des lèvres, pour lui montrer que j'ai bien compris son allusion

Dehors, la lune claire et blanchâtre n'est visible que partiellement. Le ciel est parsemé d'étoiles, aussi nombreuses que lumineuses.

Ça me fait penser au doux ciel de Dibombari. Je suis retournée dans cette ville, pour montrer le petit mot au vieux Isidore. Le pauvre en a beaucoup pleuré. Mais il est très heureux aussi, parce qu'il a inconsciemment pensé au même cadeau que ma mère, en prénommant sa fille Marthe. Nous en avons aussi ri cet après midi là. Il a hâte de retrouver sa meilleure amie, un jour dans cette autre vie qu'est l'au delà.

Puis je suis allée voir mon père. Cette fois, plus d'excuses, de colère, d'incompréhension. Nous avons fait la paix. Je crois d'ailleurs que de nous deux, il en avait le plus besoin. Il a porté en lui de la culpabilité pour ma mère et mais aussi pour moi. Je crois l'avoir libéré des deux. Même si je l'ai invité à l'inauguration, il est maintenant installé dans notre village, un peu plus près de la femme qui l'a aimé, mal aimé sans doute.

Et hier, j'ai rendu visite à Maria Odile. Je lui ai enfin raconté l'histoire, mais cette fois avec une fin, la bonne.

Peut-être que finalement ce n'est même pas la fin. L'histoire de ma vie, je l'écris tous les jours. Oui ce n'est pas la fin, c'est le commencement.

- Il commence à faire froid, retournons à l'intérieur Isadora, en plus tes invités te cherchent sûrement

- Oui allons y, je réponds en prenant la main qu'Oscar me tend, avant de me confondre aux convives dans la grande salle.

Les Tréfonds de L'âme Où les histoires vivent. Découvrez maintenant