Les Tréfonds de L'âme

CHAPITRE XI

— Du vin ou du champagne madame ?

— Rien des deux merci

  Je souris au serveur qui s'éclipsa poliment vers un autre endroit de la grande salle richement décorée. La fête battait son plein. Il y avait un peu partout des hommes politiques, des hommes d'affaires, des entrepreneurs, tous tirés à quatre épingles aux côtés de leurs épouses, parées de bijoux et de tenues aussi extravagantes et inutiles qu'elles mêmes. Mais il fallait bien mettre en valeur sa garde robe, sinon à quoi bon la garnir ?

Il fallait se tenir bien droite, rire aux éclats en sirotant sa boisson alcoolisée, tendre la main et saluer les connaissances, bavarder de toutes les routines qui rythment la vie de bourgeois. C'était surtout ça la vie de l'épouse d'un homme influent. Toujours se montrer sous son meilleur jour. Quitte à mentir, quitte à se mentir.

Même en près de dix années de mariage, je ne me faisais toujours pas aux cérémonies de l'univers politique. Je n'aimais pas la politique en elle-même. Je ne sais pas si c'est la façon dont elle se conçoit dans mon pays le Cameroun, qui a contribué à cette aversion.

   Quoiqu'il en soit, je ne me sentais jamais à l'aise dans ce genre d'événement. Je préfèrais de loin les actions humanitaires. Nul besoin dans ces cas là de chausser des escarpins de 5cm de haut, de se maquiller et de se vêtir d'une longue robe recouverte de paillettes comme celle que je portais ce soir-là.

Pourtant il le fallait bien. C'était la célébration des dix ans que mon époux avait passé à la tête  de son parti politique, à la suite de son défunt père. Un bilan des objectifs déjà atteints et un regard sur les projets futurs, le tout en festivité.

Vladimir avait annoncé par la même occasion, l'ambition de se hisser à la tête de l'Assemblée Nationale en devenant président de celle-ci. C'était rude comme entreprise. Mais l'honorable Nsang avait déjà fait ses preuves aux yeux de tous. Les dix années précédentes suffisaient à le prouver. Il avait des alliés fiables et s'était surtout lié d'amitié avec l'actuel président, de façon à ce que la succession se fasse plus simplement. La stratégie avait été bien élaborée. Mon mari avait déjà tout calculé.

Au milieu de tout ça, la priorité pour moi restait mon fils, son éducation. Les victoires de mon mari, j'y étais habituée. Vladimir gagnait toujours, tout le temps. L'avais-je jamais vu flancher, reculer, perdre ? Non. Même après toutes ces années passées à ses côtés, je n'avais jamais vu Vladimir en mauvaise posture. Pas une seule fois. Il avait le contrôle sur tout ; sur lui, sur sa vie et sur la mienne.

Je me baladais dans la grande salle de réception, ou du moins je faisais mine de me balader. Je me dirigeais en fait vers la sortie. C'était le moment de la soirée que je préfèrais. Après les discours, l'ouverture du buffet, venait le moment où tout le monde pouvait faire ce qu'il voulait. Danser, boire, discuter bruyamment ou mieux s'éclipser. La dernière option était ma préférée. Mais pour cela, il me fallait traverser un bon nombre d'invités.

Je les saluai au passage, m'arrêtant de temps à autre par courtoisie. Je croisai Vladimir, que je prévins de mon départ, prétextant un malaise. Il aurait sans doute voulu me savoir présente plus longtemps mais accepta tout de même. Mon fils était aux côtés de sa grande mère paternelle, avec qui il adorait passer du temps. Je lui fis un bisou avant de m'en aller, sachant qu'il rentrerait avec son père.

Accompagné du chauffeur, je quittai la salle des fêtes d'Akwa pour notre résidence à Japoma, de l'autre côté de la ville. J'étais déjà bien installée sur la banquette arrière, prête à  sombrer dans un léger sommeil le temps du trajet lorsque j'eus soudainement une vision. La vision d'un pont. Un pont sous lequel coulait de l'eau, beaucoup d'eau comme l'eau d'un fleuve. La vision fut assez rapide. Puis en y réfléchissant bien, je me rendis compte qu'il s'agissait du pont du Wouri.