CHAPITRE XXIV

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Alors c'est comme ça que j'en suis arrivée là. Que j'en suis arrivée à vouloir me donner la mort, avant que mon fils ne me stoppe in extremis en me posant une question si innocente et banale. Guillaume m'avait entendu marcher dans la maison, il s'est levé de son lit pour venir voir ce que je faisais.

Le dos contre le mur du salon, il aura fallu me remémorer toute l'histoire qu'avait pu être mon existence pour que je comprenne enfin. Il m'aura fallu penser à cette discussion avec ma mère dans la chambre des parents, cette matinée où j'arrivais chez les Dibongo, à ces nuits blanches passées à discuter avec Maria Odile. À cette soirée où je parlais à Vladimir pour la première fois, à nos autres rencards amoureux, aux préparatifs du mariage, au jour ensoleillé où je répondis Oui à la fameuse question posée au mariés, à ma lune de miel. À mon départ de chez les Dibongo, à mon aménagement dans ma maison, à la découverte de ma grossesse, à tous ces mois de douceur, de bonheur dans les bras de mon époux.

Aussi à ce soir où il leva la main sur moi, à ce soir où il me fit entrevoir l'ampleur de sa domination sur moi. À ce jour où je me revis plus jeune enfermée dans le grenier, où je me rendis compte de l'énorme handicap que pouvait représenter un enfance ratée. Mais il y avaient aussi eu des moments plus heureux. Comme lorsque je rencontrai par hasard Oscar, un soir sur le pont du Wouri. Lorsque nous nous revîmes à l'orphelinat, lorsque qu'il décida de m'aider et lorsque j'en appris plus sur lui et ce qu'il était.

Il y avait eu très peu de beaux moments dans mon existence, mais lorsqu'ils y en avaient eu, j'avais été plus qu'heureuse. Et peut être que si je n'avais pas tant côtoyé le malheur, je n'aurais pas autant apprécié le bonheur.

J'ai enfin compris qu'au fond ma réelle peur, celle qui se manifestait par un nœud dans la gorge, par ses visions, tantôt rapides tantôt explicites tantôt douloureuses, c'était qu'un jour je laisse toutes ces émotions refoulées sortir. Parce que plus que tout, je craignais le genre de personne que je pourrais devenir si jamais j'extériorisais tous ces sentiments. J'ai choisi d'enfouir tout ce qu'il y avait de mal en moi, mais j'allais me faire bouffer par tout cela.

Ma mère s'était laissée emporter par ses sentiments, sa rancœur, sa haine et ça l'a absorbé. Ça a fait d'elle une femme qu'elle n'a sans doute jamais souhaité devenir. Alors j'ai eu peur en apprenant son histoire, de finir comme elle.

Parce que je chéris le monde dans lequel je vis, et malgré tous les visages sombres et mesquins qu'aura pu me montrer l'humanité, en regardant dans les yeux vifs et joyeux de mon fils, dans les yeux sombres de cette fillette frêle à la chevelure abondante que j'étais il y a plus de vingt ans, une petite partie de moi continue à croire que le bien existe encore. Qu'il est peut être dissimulé, mais qu'il est encore là.

J'ai jeté loin de moi le couteau qui tomba un peu plus loin. Je m'effondrai en larmes, là devant mon fils de 10 ans. C'était la première fois qu'une telle chose arrivait. La première fois que je ne me retenais plus devant mon enfant. La première fois également que je pleurais de joie. Car oui, ce n'étaient plus des larmes de tristesse, mais de joie.

Je ne voulais pas contaminer le monde avec mon mal-être. Mais au final, c'est moi qui me suis empoisonnée. J'avais tant voulu protéger les autres que j'en ai oublié de me protéger moi-même. J'en avais sans doute le plus besoin.

Et là, j'ai pleuré pour toutes ces fois où j'avais été enfermée dans le noir, toutes ces fois où j'avais supplié ma mère de m'ouvrir la porte, de ne pas me laisser là. Pour toutes ces fois où mon avis n'avait pas été pris en compte, toutes ces fois où l'on m'avait demandé de faire bonne figure, de me montrer sous mon meilleur jour alors qu'au fond je mourrais de l'intérieur. Pour toutes ces fois où je m'étais faite battre. Pour toutes ces nuits blanches passées à implorer mon mari de me laisser la vie sauve, de ne pas me faire plus de mal qu'il ne m'en faisait déjà, que je n'en avais déjà subi.

Les Tréfonds de L'âme Où les histoires vivent. Découvrez maintenant