CHAPITRE XIV

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  À ce moment-là, assise sur le banc, m'étant retournée vers Oscar, je réalisai quelque chose qui m'avait échappé durant toute mon existence : mon père. J'avais passé ma vie à en vouloir à ma mère pour le mal qu'elle m'avait fait, en oubliant que mon père ne l'en avait jamais empêché. Cela faisait-il de lui un coupable ? Ou un complice ?

J'avais toujours centré mon mépris sur ma mère. Je ne peux pas dire qu'entre mon père et moi, c'était vraiment l'amour fou. Mais je ne lui avais jamais réellement reproché quelque chose. J'avais supposé que si ma mère était si dure avec moi sa fille, elle était sans doute pareille avec son mari.

Pendant toutes ces années, j'avais omis le fait qu'après tout, le père est quand même l'autorité suprême dans une famille. Mon père n'avait pourtant rien fait. Il était présent, à chaque fois que ma mère me traînait jusqu'au grenier. Il était présent, à chaque fois que ma mère agissait froidement avec moi. Il était présent à chaque fois qu'elle me malmenait psychologiquement. Il avait toujours été présent. Mais il n'avait jamais bronché, ne s'était jamais rebellé. Il ne lui avait jamais dit :<< Arrêtes ! Ne fais pas ça, Isadora n'est qu'une enfant ! Elle ne mérite pas ça !>> Non, mon père n'a jamais rien fait.

Soudainement je me sentis stupide, si stupide d'avoir rejeté toute la faute sur ma mère, comme si mon père en était moins responsable. Peu importe ses raisons, il aurait dû agir, il aurait dû intervenir. Y avait-il des raisons d'ailleurs ? Des raisons de laisser son propre enfant subir les foudres d'une maman peut-être déséquilibrée ?

Mon père aurait dû faire quelque chose, il aurait pu faire quelque chose. Au lieu de ça, il a passé sa vie à observer silencieusement comme un spectateur. Il a passé sa vie à détourner le regard pour ne pas me voir me faire enfermée. Il a passé sa vie à se boucher les oreilles pour ne pas m'entendre crier.

Et moi j'en ai voulu à ma mère, en oubliant mon monstre de père, simplement parce qu'il n'avait rien fait, rien fait de mal en tout cas. Mais peut-être que c'était justement cela le problème : N'avoir rien fait.

Je ne sais même pas quoi te dire Oscar, je réalise à présent que j'ai omis un fait si important. Je n'ai aucune réponse à te donner. Je ne sais pas Oscar, je ne sais pas et je n'ai jamais su. Je ne saurai sûrement jamais. Depuis le décès de ma mère, mon père est devenu l'ombre de lui-même. Il s'efforce à sourire lorsque la famille est là. Mais ça se voit que son bonheur n'est qu'artificiel. Ça se voit que dès que l'on a le dos tourné, il pleure et se morfond. Je pensais pouvoir l'aider alors je l'ai fait aménager dans un appartement à Deido. Un coin tranquille pour qu'il puisse y passer les quelques années qu'il lui reste à vivre. Que pourrais-je encore obtenir de lui aujourd'hui ? C'est un homme vieux et fatigué.

— Ne dis pas ça Isadora, tu peux toujours avoir une discussion avec lui, il ne se fait pas tard. Je suis convaincu qu'il a des réponses à tes questions. Essaies au moins.

Hum sérieusement ? Il n'y a rien à obtenir de mon père. C'est pour ça que je ne voulais pas te parler de tout ce qui m'est arrivé. Parce qu'il n'y a rien à faire pour moi. Ma mère est morte Oscar, et bientôt mon père la rejoindra. J'aurais dû tourner la page depuis longtemps.

— De l'espoir, ais de l'espoir. C'est la seule chose que je te demande Isadora. Je sais que tu n'en as peut-être jamais eu jusqu'ici, mais au nom de la personne ou de la chose que tu as de plus cher dans ce monde, ais de l'espoir s'il te plaît !

Les Tréfonds de L'âme Où les histoires vivent. Découvrez maintenant