— Pourquoi ? Pourquoi papa ? Réponds ! RÉPONDS MOI !
J'étais debout, la silhouette inclinée vers le bas, le regard suppliant, les yeux fixés sur mon père, le corps entier tremblant. J'attendais impatiemment une réaction, n'importe laquelle. Tout ce que je désirais c'était une réaction. Même si c'était pour ne rien dire d'important. Même si c'était pour me dire quelque chose de réconfortant. Je voulais juste une réponse. Pour la première fois de ma vie, je demandais des réponses. Pourquoi était ce si difficile à donner ?
Quelques minutes auparavant, l'aide à domicile m'avait ouvert la porte, donnant directement sur le salon, où était assis mon père, dans un fauteuil. Il eut l'air surpris de me voir. C'était compréhensible, vu que nous ne nous étions pas vus depuis son déménagement.
Après l'enterrement de la dépouille de ma mère dans son village natal, dans la région de l'Ouest -Cameroun, j'avais cru qu'il serait bon que mon père quitte la maison familiale, même s'il y avait vécu longtemps. Il n'y avait plus rien qui l'y retenait. Ma mère était morte. À quoi bon rester dans cette maison, trop grande, trop vide et trop triste pour lui seul ?
Le reste de la famille n'avait pu qu'approuver l'idée. Certes, il y avait eu quelques éclats de voix. Certaines de mes tantes avaient exprimé, assez bruyamment, leur désaccord. La question qui planait, était de savoir ce que deviendrait cette si belle et grande maison.
En plus clair, à qui devait-elle appartenir désormais ? Mon père était vieux. Il ne faisait pas son âge, il faisait beaucoup plus. Il n'avait plus la tête à débattre pour des broutilles. J'étais l'enfant unique. Naturellement, il me revint la charge de gérer cette maison.
Une maison que je n'aimais pas. Une maison qui ne me rappelait presque rien de bien. Une maison où je n'avais aucun souvenir, que je pourrais raconter à mon fils en riant. Parce que dans cette maison, il n'y avait presque jamais eu de raison de sourire. Et une fois que l'occasion de me débarrasser d'elle se présenta, j'en profitai. La maison fut mise en vente.
De toute façon, personne n'aurait voulu y vivre. Mis à part quelques membres de ma famille, qui n'ayant rien fait de leurs vies, attendaient des opportunités pareilles, pour continuer à survivre au dépens des autres membres de la famille.
Ce que les gens voyaient en entrant dans cette maison, c'était une demeure familiale, mignonne et propre, du style années 2000, avec ses feuilles de tôles ondulées servant de toit, ses murs crépis jaunis par la peinture et son petit porche donnant sur la cour au sol dallé. Ce que je voyais c'était une prison, un abattoir. Il y avait cette atmosphère de tristesse, de désespoir et de négativité qui y régnait. La maison pourtant peinte de couleurs vives et chaleureuses, avait toujours eu pour moi une allure sinistre et morose.
Sans montrer trop de réticence, mon père avait accepté ce déménagement. Je crois d'ailleurs, que ça n'avait pas beaucoup d'importance pour lui. Son deuil était profond, difficile et semblait interminable. C'était assez rare pour un homme, de faire son veuvage de cette façon.
Au Cameroun, le veuvage est presque toujours éprouvant pour la femme. Ça dure des semaines, des mois. Il y a toute une panoplie de rites et rituels à faire, pour s'innocenter aux yeux de la belle famille et pour exprimer sa douleur.
Mais je crois que ce qui n'est pas dit dans toute cette histoire, c'est que le veuvage est si rude pour la femme, car la belle famille, qui n'a peut être jamais accepté la brue, ou qui ne supporte pas la perte de son enfant, trouve un moyen de faire payer quelqu'un.
Parce que l'être humain est fait ainsi. Lorsqu'un malheur s'abat sur lui, il cherche quelqu'un sur qui rejeter la faute. Et s'il ne trouve personne, il la rejette sur Dieu. Et quand bien même le veuvage est terminé, certaines femmes en gardent des cicatrices tout le restant de leur vie. Bonne façon de les priver du bonheur, avec un homme autre, que celui qui les aura déjà doté.
VOUS LISEZ
Les Tréfonds de L'âme
Mystery / Thriller« Le malheur de l'homme vient de ce qu'il a été d'abord enfant » René Descartes Alors qu'elle est devenue l'épouse d'un député fortuné, mère d'un petit garçon et femme influente, Isadora demeure hantée par les troubles de son enfance. Une enfance...