Prologue

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 La première chose qu'il ressentit, quand il prit conscience de sa propre existence, fut les doigts qui touchaient son visage, au niveau de ses joues.

Ce n'était pas désagréable, bien au contraire. Ce geste était presque... chaleureux, même s'il ne savait pas exactement ce que cela voulait dire. Cette sensation lui était nouvelle. Il ouvrit lentement les yeux.

Il rencontra un regard. Des petits yeux vert-de-gris, voilà la première chose qu'il vit – qu'il vit et qu'il réalisa. Sa bouche s'ouvrit, mais aucun son n'en sortit. Il savait à qui ce regard appartenait. Il savait peu de choses, mais il savait reconnaître les personnalités supérieures à sa personne.

Quand elle comprit que la créature en face d'elle avait enfin obtenu une conscience complète, la reine lui sourit. La reine, lui sourire ? À lui ? Ses longs et fins doigts l'effleurèrent une dernière fois le visage, avant de s'enfuir. Quand ses mains le quittèrent, ce fut comme si une boule se forma, au creux de son ventre. La pensée de faire exactement la même chose au visage de la reine lui empoisonna le cerveau, et immédiatement, il se maudit d'avoir pu imaginer une chose pareille.

Il ne comprenait pas ce qu'il se passait. Pour lui, qui avait été créé dépourvu de réflexion et de libre-arbitre, qui agissait car les ordres donnés étaient gravés au plus profond de son être, c'était extrêmement perturbant.

Puis, la reine se releva. Il constata alors qu'il était assis à même le sol, les poignets entravés par des menottes en fer fixées au mur. Devant lui, il vit des barreaux, ainsi que trois silhouettes qui se distinguaient dans la pénombre, sans discerner leurs visages pour autant. Il se trouvait dans une cellule. Qu'avait-il fait pour finir ici ? Avait-il commis quelque chose d'atroce ? Il savait que c'était odieusement possible : certains comme lui s'étaient montrés défectueux dès leur création, et pouvaient dévoiler leurs faiblesses et leur imperfection au fil du temps. Étouffé par la panique, il essaya de se remémorer ce qu'il avait fait, avant d'atterrir ici. Mais rien ne lui arrivait à l'esprit. Les créatures comme lui étaient dotées d'une mémoire sélective accrue, en plus d'être anormalement courte. Il ne se souvenait juste de ce qu'il devait faire :

Protéger le royaume.

Protéger le château.

Protéger la reine.

Soudain, il entendit une voix :

— C'est la cinquante-huitième Marionnette, celui-là.

— Oui, je le sais. Je l'ai reconnu grâce à son numéro.

Quand la reine s'était mise à parler, son regard s'était automatiquement braqué sur elle. Son ton était doux, se voulait rassurant et serein. Ici, il portait plusieurs noms : Cinquante-huit, le Cinquante-huitième ou, de manière plus complète, la Cinquante-huitième Marionnette. Toutes les Marionnettes – ses semblables, donc – étaient nommées grâce à ce système de notation, qui allait de un jusqu'à cent dix. L'autre voix – qui venait d'une des silhouettes, plus loin – poursuivit plus flegmatiquement :

— J'imagine que vous comptez lui donner un prénom, à celui-là aussi... que vous souhaitez le renommer. Nous vous écoutons, Majesté.

Et il rajouta, à voix basse :

— Et ne te loupe pas sur l'orthographe, cette fois-ci, Gabriel.

— J'ai compris, souffla le prénommé Gabriel d'un ton agacé. Cesse tes remontrances inutiles.

Cinquante-huit ne parvenait pas à lâcher des yeux la reine. Ainsi levée, obligée de baisser le regard pour l'observer, il pouvait admirer tous les détails de sa personne : un corps fin, des cheveux châtain aux pointes noircies s'arrêtant au milieu de son dos, un teint mâte, un petit nez. Un sourire timide, une peau dépourvue de rides. Ses lèvres étaient peintes en noir, un noir sombre qui revêtait aussi ses longs ongles pointus. La reine était jeune, ce qui dénotait assez avec son rang royal.

Bad Love Cursed RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant