Epreuve

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TW: naissance graphique, sang. 

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Depuis quelques mois, sa vie a été chamboulée. En se mettant en couple, il savait que le sujet serait inévitablement abordé. Cependant, rien n'aurait pu le préparer à cette surprise. Bien que Lucas n'a jamais voulu être parent, lui et son compagnon n'ont pas trop eu le choix lorsque ce dernier fit un déni de grossesse. Ils auraient pu la mettre en adoption, les deux hommes se doutant qu'ils pouvaient difficilement s'occuper d'un enfant avec leur rythme de vie. Or, en raison de la nature de Baptiste, ils n'en avaient été incapable. 

 Mais ce n'est pas la seule raison. Lorsque le jour J fut venu, le duo avait dû se rendre dans une crique, le franco-philippin sentant l'appel de l'océan. Une fois arrivés sur la plage, Baptiste n'attendit pas et se dirigea, difficilement, dans l'eau, reprenant sa nature marine. Les jambes bronzées et sculptées laissèrent place à une puissante queue de poisson, les écailles semblables à des bijoux miroitant.

Le visage que Lucas aimait tant commença à montrer de l'inconfort, des crampes se faisant doucement mais sûrement connaître. Aucun des deux n'avaient assisté, de première main, à un accouchement. Surtout un comme celui-ci. Le temps leur paraissait long, le couple étant tendu mais tentant de discuter tranquillement. Cela sembla marcher jusqu'à ce que les crampes s'intensifièrent. Et avec elles, le temps qui se dégradait. Les petits clapotis des vagues se faisaient de plus en plus présents et forts, montant au fur et à mesure sur le sable.

Le sireno avait tenté de renvoyer son humain chez eux, ne voulant pas le faire attendre sous une possible pluie, tentative échouée. La naissance se faisait attendre, tout le contraire de la météo. Le soleil timidement caché derrière des nuages avait complètement disparu, une couverture sombre et lourde recouvrant le ciel. Le vent s'était levé, faisant danser les vagues dans son sillage. Lucas n'était absolument pas à l'aise, mais il s'en fichait. 

Quelques heures s'étaient écoulées, et il ne comptait pas laisser son compagnon seul. L'eau salée venait chatouiller ses jambes, imbibant son pantalon et ses chaussures. Les mains prédatrices s'accrochaient vainement au sable, voulant un point d'accroche. Prenant une main palmée dans la sienne, Lucas écarta les mèches collées au front humide de Baptiste. Ce petit geste n'aidait en rien mais apportait un soutien moral. Un coup d'œil à sa montre, il vit qu'il était déjà vingt-et-une heure. 

Déjà huit heures qu'ils étaient là et toujours aucune avancée. Il prit une gourde d'eau qu'il avait réussi à attraper avant de partir, et abreuva Baptiste qui n'en perdit pas une goutte. Une fois la soif un peu étanchée, il passa maladroitement une vieille serviette de plage sur le visage en sueur devant lui, ne sachant que faire d'autre. Lucas voulait aider, il voulait faire quelque chose pour son compagnon. Malheureusement, il était impuissant.

Une naissance est sensée être joyeuse, excitante... 

Or, Lucas ne ressentait rien de tout cela. Il n'y avait que stress, peur et tension en lui. Il savait que les accouchements duraient que quelques heures, mais pas autant. Ils n'étaient que tous les deux, sans aucune aide, livrés à eux-mêmes. Après tout ce temps, l'océan n'arrivait plus à taire la souffrance de Baptiste. La panique prit son compagnon à l'entente d'un gémissement de douleur. Malheureusement, les bruits de douleur se multipliaient, prenant différentes tonalités. Une grimace échappa à Lucas en sentant sa main être écrasée dans la poigne de son compagnon. Mais il ne fit aucun bruit. Il ne se sentait pas légitime. 

Sa main libre continua d'écarter la chevelure du visage humide et pâle du sireno, ce dernier profitant du semblant de fraîcheur que cela lui apportait. Son visage s'appuya contre la paume large, y trouvant un réconfort. Le châtain remarqua la chaleur qui rayonnait à travers la peau écailleuse, un peu inquiet. Dans cette forme, son compagnon avait une température plus basse que celle d'un humain. Or, il semblait que ce soit l'inverse à présent. Séparant à contrecœur sa main de la joue, il tamponna la peau en sueur.

Un sursaut le prit, la peur prenant son être suite au cri inattendu qui s'échappa du sireno. Une migraine temporaire en fut le résultat, et avant qu'il ne puisse réagir, il vit, confus, Baptiste enfourner une poignée de sable dans sa bouche et y rajouter un coin de la serviette, ses dents déchirant les fibres. Tandis qu'il faisait un geste pour lui dégager la bouche, il se stoppa lorsqu'un cri étouffé, mais pas moins fort, se fit entendre, suivit d'un petit sanglot. Il réalisa enfin la raison de cette action de Baptiste. 

Etant un sireno, il peut charmer par le chant, mais également tuer. Quiconque entendait ce cri, perdait la vie. Après tout, la mer est source de vie, pouvant la donner mais aussi la reprendre. Heureusement, ce n'était pas tous les cris qui pouvaient tuer, juste un en particulier. Et Baptiste s'était bâillonné pour éviter tout incident. Une perte de contrôle, même minime, et il y passait. 

 La fatigue le prenait de plus en plus, ses paupières pesant sur ses yeux. Il n'était pas habitué à faire de nuit blanche, de ne pas dormir pendant si longtemps. Mais il refusait de quitter le chevet de Baptiste. Il avait besoin de lui, et si quelque chose arrivait? Non, impossible qu'il s'éloigne.

Ce n'était pas grave si il était trempé, exténué, sale, affamé et assoiffé. Il fallait qu'il reste. 

 Un souffle étranglé lui échappa, paniqué, quand l'oméga planta ses griffes aiguisées dans son propre bras et le griffer. Quelques écailles furent abîmées, voire arrachées, mais le sireno n'avait pas le choix. La douleur était si intense. Et il ne voulait pas ouvrir la peau humaine de son compagnon. Ce serait comme couper du beurre mou avec une lame chaude. Un sanglot étranglé se fit entendre de sa part, le front luisant reposant sur son avant-bras ensanglanté. 

La queue écailleuse sortit brusquement de l'eau avant de la frapper avec une puissance qui aurait pu écraser des côtes humaines. Une vague en résultat, arrosant les deux corps déjà trempés. Enfin la libération semblait proche, la douleur étant à son paroxysme, les griffes s'enfonçant plus profondément dans le bronze, un cri puissant camouflé par l'orage et l'éclair qui craqua au loin. La tempête semblait représenter le tourment du sireno. 

L'océan était sauvage, furieux de la douleur de son enfant face à la plus douloureuse des épreuves. Les bruits de tonnerre grondant dans le ciel, créant une symphonie discordante avec les cris et les sanglots de Baptiste. Face à ce spectacle, Lucas était terrorisé. La scène devant lui lui faisant comprendre que l'humain n'était rien face à la nature, en particulier l'océan. La terreur monta d'un cran quand il n'entendit plus aucun bruit venant de son compagnon. La panique le fit trembler face aux yeux clos du sireno, le mouvement de respiration presque imperceptible.

Un petit pleur de soulagement se fit entendre quand Baptiste cracha enfin le sable de sa bouche, Lucas se dépêchant pour l'abreuver. Le corps musculeux se pencha difficilement en avant pour prendre la raison de cette épreuve. Les larmes aux yeux, l'alpha du couple regarda une sorte d'œuf être calé contre Baptiste qui griffa la coquille molle, l'enlevant doucement pour dévoiler le trésor derrière.

Un petit corps fit son apparition, possédant comme son parent oméga une queue écailleuse. Des écailles étaient parsemées par-ci par-là sur la petite peau claire. Un petit pleur se fit entendre, signe de la vie qui l'habitait. Après vingt-deux heures d'épreuve éprouvante, enfin le petit-être était là. Le bébé était minuscule, étant né avant terme, prématurément même, si ils calculaient bien. Guidé par l'instinct, Baptiste fit boire un quelques gouttes de son sang et de l'eau salée à l'enfant. Il ne savait pourquoi, mais il sentait au plus profond de lui qu'il devait le faire.

Depuis, Lucas devait vivre en tant que papa d'un petit-être mythique, devant faire attention à ses besoins spécifiques et à cacher sa vraie nature. Mais malgré les difficultés que cela apportait... 

Il ne regrettait à aucun moment sa petite Althea. 

Son amour pour elle ne faisant que croitre. Il voulait la garder comme ça, innocente et en sécurité. Même si il serait fou de joie en la voyant effectuer ses premiers pas, son premier mot... En la regardant fixer les alentours sur sa table à langer, gigotant ses petits membres humains, Lucas sentit son cœur gonfler d'amour lorsque ses yeux vairons se posèrent sur lui, un sourire dirigé à son encontre. 

Il ne souhaitait que le bonheur et la santé pour son bébé, et ferait tout ce qui est en son pouvoir pour le réaliser.

Petits pimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant