Douleur

192 8 3
                                    


C'est injuste.

Tout est injuste.

Un regard fatigué posé sur les morceaux nacrés, des doigts touchant fébrilement ce qui restait.

Tout son corps reposait par terre, n'ayant plus la force de se battre depuis tout ça.

Il n'avait été qu'un objet de désir et cupidité humaine.

Une victime de plus à la longue liste que l'humain a créé.

A leurs yeux, il n'était pas l'un des leurs.

Il n'était qu'un animal, un objet à posséder, vendre, échanger et de divertissement.

Il n'avait jamais demandé à naître ainsi.

Il n'avait jamais demandé à être enfermé dans cette immense cage à oiseau.

À rester assis pendant de longue heures sur un perchoir pour faire joli.

Il haïssait ce qui lui servait de vie.

Ses membres étaient lourds, refusant de bouger, épuisés par ce qu'ils avaient vécu.

Pendant un instant, l'être se laissa aller à ses souvenirs heureux. A sa mère et sa famille qui l'avait aimé malgré sa caractéristique rare.

A son enfance insouciante, ignorant les cris de dispute de ses parents. Il aimait courir et surtout nager. Même si son corps n'était absolument pas fait pour cet environnement aquatique, il était un excellent nageur.

Puis vint ensuite la douloureuse séparation forcée.

Il préféra ne pas y penser.

Son amant.

Ce souvenir doux-amer.

Lucas.

Sans doute l'un des rares humains extérieurs à sa famille à ne pas le traiter comme un objet.

Leurs moments étaient doux et secrets, chacun profitant des caresses et des doux baisers de l'autre, des mots sucrés et rassurants chuchotés dans la pénombre de leur rencontre.

Il s'était laissé aller à ces tendres étreintes. Elle l'aidaient toujours à s'échapper pendant un instant à sa cruelle vie.

Au fil des rencontres, les touchers se faisaient plus intimes, plus approfondis tandis que les baisers innocents commençaient à devenir passionnés.

Leur première fois avait été désordonnée et hésitante, chacun découvrant pour la premier fois cet acte intime. Hésitation qui fut remplacée par de l'assurance au fil des rencontres.

Ces échanges qui lui étaient si chers, ne semblaient pas l'être pour Lucas.
Contrairement à lui, les hommes comme son amant n'était pas restreint par la nature à un partenaire à vie.

Ce qui était son cas.

Malheureusement.

Les êtres comme lui étaient comme les cygnes, accouplés à vie à un partenaire.

Et ce partenaire était Lucas.

L'unicité n'étant qu'à sens unique.

Il avait accepté ce fait, même si cela le peinait.

Tant qu'il avait Lucas, il pouvait survivre au partage de son amant.

Mais ça, c'était insurmontable.

Lorsque son amant vit les deux oeufs dans la cage à oiseaux doré, il blêmit. Il ne voulait pas être père.

Une dispute éclata.

Son amant humain voulait qu'il s'en débarrasse, que ce serait horrible si les oeufs éclosent un jour.

Mais lui, il ne voulait pas ça. Cela lui donnait une raison pour vivre. Il sait qu'il était égoïste. Mais il ne voulait pas.

Cela le ramena à l'instant présent.

Son regard devint humide, les tremblements le prenant.

Le jour de l'horreur lui revint clair et vif dans sa mémoire.

Il avait retrouvé ses précieux trésors écrasés, leur coquille et les liquides éparpillés au sol. L'arme du crime, un marteau, reposait innocemment derrière les barreaux de sa cage. Des taches encore humides et quelques petits éclats recouvraient l'avant de l'objet, le narguant cruellement.

Un cri de désespoir se fit entendre dans toute l'habitation. Des sanglots à fendre le coeur se firent entendre. Mais personne ne s'en préoccupait.

Ses doigts grattaient le sol dur et froid, dans une veine et pitoyable tentative de recoller les morceaux, de nier ce qui était sous ses yeux.

Il était seul dans cet océan de désespoir et de désolation. Personne à qui se raccrocher. Son amant gardant ses distances, ses oeufs détruits à jamais.

Cette dernière action sembla couper les fils qui l'animaient, son corps s'effondrant au sol.

Et il ne bougea pas.

Le regard vide toujours sur sa perte.

Les rares plumes qui lui restaient tombaient les unes après les autres.

Il se laissait dépérir.

Son décès sera attribué à "un cœur brisé", n'ayant pas pu supporter la perte de sa couvée.

C'est ainsi que disparut Baptiste, mettant fin à une vie de misère.

Enlevé, vendu, maltraité, la raison de tout cela ne venait que de son seul défaut:

Naître avec ses ailes.

Petits pimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant