XLVIII

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Je me levai à contrecœur et allai m'habiller. J'enfilai une robe longue. Elle était noire. J'attachai mes cheveux en un chignon bas. Je n'avais pas envie de faire d'effort concernant ma tête. J'avais une mine affreuse, des cernes énormes, un teint pâle. Un quelconque effort serait, dans tous les cas, ruiné par mes larmes. Je mis une paire de lunette qui camouflait assez bien l'horreur. Nino entra au même moment.

— Tu es prête ?
— Oui.

Il portait un magnifique costume, tout noir. Plus le temps passait et plus ses cernes se creusait, mais n'enlevait en aucun cas son charme.

— Tu es magnifique.

Il s'avança lentement vers moi. Nos corps n'étaient qu'à quelques centimètres.

— Toi aussi.
— Ça va aller ?

Les larmes me montèrent. J'étais à fleur de peau. Un rien suffisait à me faire chavirer.

— Je ne sais pas.

Il me prit dans ses bras et posa son menton sur mon épaule. Je plaçai mes bras dans son dos et enfouis mon visage dans le creux de son cou.

— On va s'en sortir. Même si ça prend six mois, un an, deux ans, on prendra le temps qu'il faut et on s'en sortira.
— Mmh.
— Tout va bien se passer.

Il déposa un baiser sur mon front avant de se détacher.

— On y va ?
— Mmh.

Il me prit la main et nous nous dirigeâmes hors de l'appartement. Nous descendîmes au parking et nous mîmes en route.

— Je ne te l'ai pas dit, mais ça sera un enterrement typiquement catholique. Mon père était croyant. Je veux lui faire honneur jusqu'au bout.
— Pour Juan aussi ?
— Oui. Ça ne te dérange pas ?
— Ils seront enterrés quoi qu'il arrive, peu importe la cérémonie.
— Mmh.

Je détournai le regard vers la fenêtre. Je ne pensais pas revoir ce paysage d'aussitôt. Les longs buildings, les trottoirs remplis, les panneaux publicitaires, tout ceci m'avait manquée. Pourtant, je n'en savourais pas les retrouvailles.

— Dans quelle église, on va ?
— La chapelle St Paul.
— Mmh.

Nous arrivâmes devant une jolie chapelle. Elle n'était ni trop grande ni trop petite. Il se gara sur le petit parking. Je repérai tout de suite le corbillard. Sa vue suffit à m'émouvoir. Nous descendîmes de la voiture. En silence. Aaron nous attendait à l'entrée. Il portait également un costume noir. Je remarquai que lui et Nino avaient exactement la même montre au poignet. Argentée avec des reflets noirs. Un cadeau de leur père, m'avait-il raconté.

— Je te laisse rejoindre ma mère à l'intérieur.
— Mmh.

Je passai devant Aaron en ne lui adressant un signe de la tête pour le saluer. Maria se trouvait bel et bien à l'intérieur. Elle était au premier rang. Je vins m'asseoir à côté d'elle en silence. Elle regardait droit devant elle. Sans cligner des yeux. Elle finit par saisir ma main et la serrer fort. Elle m'incita ensuite à me lever. Un prêtre se tenait devant nous. J'entendis de pas venant de derrière moi. Je ne me retournai pas. J'avais toujours mes lunettes sur le visage. Nino et Aaron, ainsi que deux autres hommes passèrent devant nous. Ils tenaient un grand cercueil sur leur épaule. Celui de Vincente. Ils le posèrent et repartirent. Ils revinrent quelques minutes plus tard, seulement Aaron et Nino, avec un cercueil beaucoup plus petit. Celui de Juan. Mon cœur se serra.

Ils vinrent ensuite à côté de nous. Nous nous assîmes tous les quatre. Le prêtre prit la parole, mais je n'entendais pas ce qu'il disait. J'étais comme déconnectée. Mon esprit était ailleurs. Je me reconnectais lorsque Nino et Aaron s'avancèrent pour allumer des cierges autour des cercueils. Je fis de même, Maria également. Nous retournâmes à nos places. Le prêtre prit de nouveau la parole. Il lisait des extraits bibliques. Je ne croyais pas en Dieu, du moins je ne m'étais jamais questionnée sur ma foi, j'en concluais donc que je ne croyais en rien. Ce qu'il lisait ne m'interpellait donc pas particulièrement.

Au bout d'un moment, Nino se leva et se plaça près des cercueils. Il commença à parler de son père. Il lui rendait hommage. Il se tourna ensuite vers le cercueil de son fils en faisant la même chose. Ce qui était difficile étant donné le peu de souvenir qu'on avait. Il finit en demandant à son père de veiller sur son fils. Il revint s'asseoir. Aaron prit alors sa place. Il fit la même chose, exprimant des souvenirs différents. Concernant mon fils, il dit simplement regretter ne pas l'avoir connu. Vint ensuite mon tour. Je refusai d'y aller. Je n'en avais pas envie. Je n'avais pas envie de m'effondrer devant eux. J'étais faible. Et lâche. Ils méritaient tous deux mieux comme au revoir. Par ailleurs, aucune pensée, du moins positive, ne me venait sur le moment. Je laissai Maria y aller. Je croisai le regard de Nino. Je pus lire une pointe de déception sur son visage. Il détourna immédiatement la tête.

Maria fit un très beau discours qui finit en larmes. Nino dut l'aider à revenir s'asseoir près de nous. Nos douleurs n'étaient sans doute pas si différentes que ça. Perdre un mari. Perdre un fils. Les deux étaient atroces.

Le prêtre encensa les deux corps des défunts. Je ne comprenais pas à quoi servait tout ça. Je voulais que tout se termine le plus vite possible. Maria me prit par la main et nous nous dirigeâmes vers la sortie. Nino et Aaron, ainsi que les deux autres hommes de tout à l'heure, portèrent le cercueil de Vincente jusqu'au corbillard. Ils retournèrent ensuite chercher celui de Juan.

— Je te suis, dit Nino à Aaron.

J'en conclus donc qu'Aaron allait conduire le corbillard. Nino se dirigea vers sa voiture. Je le suivis sans parler. Il démarra et suivit Aaron.

— Pourquoi tu as fait ça ?

Je ne lui répondis pas.

— Roza ? C'était l'occasion de leur dire au revoir. Pourquoi tu ne l'as pas fait.
— Je n'en avais pas envie.
— Tu « n'en avais pas envie » ?! Tu te fous de moi. C'est le jour de l'enterrement de ton fils que tu décides de faire la gamine immature ?!
— Laisse-moi tranquille.
— Non, je ne te laisserai pas tranquille ! On parle de ton fils et de son grand-père ! Tu n'auras plus l'occasion de les revoir.
— Je le sais ça ! Sauf que tout le monde ne gère pas la douleur et le chagrin de la même manière que toi Giovanni ! Donc maintenant laisse-moi tranquille et ferme-la.
— C'est la dernière fois que tu me parles comme ça.

Je me contentai de ne pas lui répondre et de sécher mes larmes pour ne pas envenimer les choses. À ce moment précis, je le détestai. Je détestai mon homme. Il se comportait comme si tout le monde savait gérer ses émotions comme lui. C'était égoïste de sa part. Il ne se mettait pas à la place des autres. Lui dire au revoir tout le monde, ou non, n'allait rien changer. Ça n'allait pas changer ce qui s'était passé, ni ce que je ressentais. Au contraire.

Nous arrivâmes sur le parking du cimetière de Green-Wood. Nous descendîmes de la voiture. D'autres hommes étaient déjà présents. Il s'agissait du personnel des pompes funèbres. Ils se mirent à plusieurs pour porter les cercueils. Nous dirigeâmes vers le lieu destiné à les inhumer. Le trou avait déjà été creusé. Ils descendirent les cercueils en pleine terre. On nous passa plusieurs roses à chacun. La tradition était de les jeter sur le cercueil avant qu'il soit recouvert. Tous le firent puis vint mon tour. J'en jetai une sur le cercueil de Vincente.

— Merci pour tous et, désolé.

Je le remerciai de m'avoir accepté et fit devenir un membre de sa famille. Je m'excusais d'être moi, Roza Del Castillo, fille de Juan Del Castillo. Je me dirigeai vers le cercueil de mon fils. Les larmes que je retenais depuis si longtemps coulèrent enfin.

— Je ne t'oublierai pas. Tu seras toujours présent dans mon cœur. Je t'aimerai à jamais Juan.

Je jetai ma dernière fleur sur son cercueil, lui disant « adieu » à jamais.

Les épines du désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant