LII

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Aaron revint quelques minutes plus tard. Ses yeux étaient rouges. Il avait sûrement pleuré. Je détournai le regard pour regarder à nouveau devant moi. C'est-à-dire le vide. Je serrai toujours Nino dans mes bras. Je ne voulais pas le lâcher. Pour rien au monde, je ne lâcherai. Je ne l'abandonnerai pas. Je resterai avec lui.

— Roza ?

Je ne pris pas la peine de le regarder. C'était comme si sa voix était à côté, mais lointaine à la fois.

— Roza. Il faut partir.
— Je n'irai nulle part.
— Je sais que c'est dur. Mais maintenant, on doit penser à nous. À notre survie. Nino ne me le pardonnerait jamais s'il t'arrivait quelque chose. Ni mon père d'ailleurs. Je les ai déçus tellement de fois dans ma vie. Je ne veux pas le faire encore. Alors, s'il te plaît. Allons-y. Ma mère va venir te récupérer et je vais m'occuper de Nino.

Je ne répondis pas.

— Roza.

Les larmes me montèrent puis coulèrent aussitôt.

— Je ne peux pas. Je ne peux pas l'abandonner.
— Tu ne l'abandonnes pas. Tu prends soin de lui en te préservant. Viens avec moi. On va attendre ma mère dehors.
— Je ne peux pas.

Je resserrai l'étreinte et posai mon front sur le sien. Je ne pouvais pas le lâcher. Mon cerveau me l'interdisait. Mon corps me l'interdisait. Je ne pouvais pas.

— Roza, s'il te plaît.

J'arrêtai de l'écouter et fermai les yeux. Je pleurai en silence. Mes larmes dévalaient mes joues. Je ne pouvais plus les contrôler. Une minute passa. Deux minutes. Trois minutes. Puis une infinité. Je fus sortie de mes pensées par Maria qui venait de poser sa main sur mon épaule.

— Roza ?

Je relevai la tête et lui lançai un regard. Des larmes coulaient de ses yeux. Ses yeux étaient rouges. Elle avait perdu son mari et son fils en même pas un mois. Tout comme moi.

— Viens avec moi. S'il te plaît.

Je fis non de la tête.

— Je sais que c'est dur. Je suis même la mieux placée pour le savoir. Mais, il faut le laisser partir. Il a accompli ce qu'il devait accomplir parmi nous. Il mérite de se reposer tranquillement maintenant. Tu connaissais Nino. Sans doute un peu mieux que moi. Pour rien au monde, il n'aurait aimé te voir dans cet état. Même pas pour lui. Alors, fais lui honneur. Accompli ces dernières volontés. Relève-toi. Viens avec moi.

Elle posa ses mains sur les miennes et essaya de défaire l'étreinte. Je me laissai faire. Elle m'aida à me lever.

— Ce n'est pas un « au revoir ». Vous vous reverrez.

Je ne lui répondais pas. Elle me prit par la main et nous marchâmes vers la sortie. Je lançai un dernier regard au corps de Nino, puis nous sortîmes. Nous nous dirigeâmes vers sa voiture. Elle m'ouvrit la portière. Je m'installai. Elle fit le tour et s'installa côté conducteur. Elle démarra. Petit à petit, la maison s'éloigna dans le rétroviseur. Quand nous fûmes assez loin, j'éclatai en sanglot.

Qu'est-ce qu'il venait de se passer ? Qu'est-ce qu'il venait putain de se passer ? Je ne pouvais pas y croire. Il était mort. Mort. Il n'était plus là. Il était parti. Parti.

— Ça va aller. Ne t'inquiète pas. Tu vas t'en remettre. En attendant, tu as le droit de pleurer. C'est normal.

Mes larmes s'accentuèrent. J'avais...j'avais seulement envie qu'on me réveille et qu'on me dise que c'était juste un mauvais rêve. Que je me réveille à ses côtés. Avec lui en train de me regarder. Qu'on commence notre journée en se montrant à quel point on s'aimait. Je voulais m'échapper de la réalité. De cette réalité. Ça ne pouvait pas être possible. Non. Qu'est-ce qu'il venait de se passer ?

Elle conduisit longtemps. J'étais comme déconnectée. J'étais simplement là. Sans plus. J'étais vide. Les plaies qui avaient mis du temps à se refermer s'étaient toutes ouvertes de nouveau. Toutes. Nous arrivâmes devant sa maison. Elle coupa le moteur. Personne ne parlait, ne faisait de bruit. Elle tendit sa main vers moi et me saisit par les épaules, me forçant à me rapprocher d'elle. Elle posa sa main sur mes cheveux et les caressaient. Elle avait cette odeur chaleureuse qui me rappelait son fils.

— Ça va aller. Ça va aller.

Je sentis mon cuir chevelu s'humidifier. Elle pleurait. Elle craquait. On était pareil elle et moi. On avait toutes les deux perdu nos fils et nos maris en moins d'un mois. Qu'est-ce qu'on avait fait de mal dans nos vies pour mériter ça.

— Tu peux me ramener à la maison ?
— Je ne préfère pas te laisser seule pour l'instant.
— Ça va aller. J'ai juste besoin...d'être seule.
— Repose-toi un peu ici, et je te déposerai après.
— Qu'est-ce qu'on va devenir ? Il a dit qu'il tuera quelqu'un chaque mois tant qu'il n'aura pas la clé.
— On va s'en sortir.
— Il disait la même chose.
— On va réellement s'en sortir. Je ne sais pas encore comment, mais on va y arriver.
— Je ne veux plus assister à d'enterrement.
— Ça sera le dernier. Je te le promets. On y va ?
— Mmh.

On se détacha l'une de l'autre et descendit de la voiture. Elle ouvra la porte et je la suivis. Elle me conduit dans une chambre d'amis et me laissa me reposer. Je couchai. Je ne parvins à trouver le sommeil. Mes larmes se déversaient sur l'oreiller.

Je n'arrivais toujours pas à y croire. Il était mort. Mort. Je n'allais plus le revoir. J'allais devoir continuer de vivre sans lui. Sans ma moitié. On était censé se marier et se relever ensemble d cela mort de Juan, et il était mort avant qu'on eût le temps de faire tout ça. Il était parti. Je n'en revenais pas. Comment c'était possible ? Je comprenais les évènements qui s'étaient passés. Je ne comprenais pas pourquoi il n'était pas à mes côtés actuellement. Ce n'était pas ce que l'on avait prévu. Nos plans avaient été chamboulés et ça, de manière irrécupérable.

[...]

J'ouvris les yeux à cause de la sensation désagréable du tissu mouillé contre mon visage. La taie d'oreiller était humide. Voire très humide. L'espace de deux secondes me suffit à ce que tout me revienne en mémoire. Je voulais partir. Je me levai et descendis dans le salon. Aaron était assis sur le canapé. Il regardait dans le vide. Il avait les yeux légèrement gonflés.

— Aaron ?

Il sortit de ses pensées et tourna la tête vers moi.

— Tu peux me déposer, s'il te plait.
— J'arrive.

Il souffla puis se leva. Il monta à l'étage et redescendit avec Maria.

— Tu es sûre de ne pas vouloir rester ici ?
— Oui.
— Je n'ai pas envie de te laisser seule, mais je ne peux pas te retenir. Ça ne te dérange pas si je garde un double des clés ?
— Non.
— Merci.

Elle s'avança vers moi et me serra fort dans ses bras.

— Ça va aller. On va s'en remettre.
— Oui, répondis-je d'une petite voix.

Nous nous lâchâmes et je sortis, accompagnée d'Aaron.

Les épines du désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant