Image : Theatro Massimo, Sicilia
« On ne devrait jamais sortir indemne d'une rencontre, quelle qu'elle soit, ou du moins en sortir inchangé. »
Sylvie Germain10 ans plus tard
C'était sans joie que Dani pénétrait le théâtre Massimo cathédrale. Il savait que la discussion qu'il s'apprêtait à avoir avec Vittore, son collaborateur, serait des plus déplaisantes. Le chantier du complexe hôtelier qu'il projetait d'ouvrir dans un an avait pris du retard. Il avait des doutes sur l'identité du responsable du ralentissement, mais Vittore avait refusé de parler au téléphone de peur d'être placé sur écoute.
Au moins, son consigliere*, Nicolas, avait choisi un endroit appréciable, se consola-t-il. Avec les années, il avait développé un fort penchant pour la musique classique. La seule qui le calmait véritablement. Il avait un faible pour le piano, bien que le violoncelle et la harpe le talonnaient dans la liste de ses préférences.-Tu m'as bien dit qu'il s'agissait d'un récital, Nico ?
-Oui, tu vas apprécier.
Il gravit une marche au prix d'un effort certain. Il était épuisé après avoir passé une éprouvante journée. Elles l'étaient toutes à leur manière ces trois dernières années. Depuis qu'il était devenu chef du clan.
Il avait grandement sous-estimé son père et le poids qu'il avait sur les épaules. Il comprenait mieux sa détermination à le voir prendre en maturité. Après plus de trente ans au pouvoir, la lassitude ponctuait ses journées. Il était d'ailleurs très rare que les parrains soient aussi âgés que son père. Les vieux chefs ne faisaient pas long feu face à la fougue des jeunes dans le Système.-Ce sera le seul aspect agréable de ma soirée, dans ce cas.
-Eh bien, moi, j'aurais davantage trouvé mon compte à l'Azul Cubana !
Un bar branché de Palerme qui venait d'ouvrir. Nonchalamment, il observa du coin de l'œil son compère croiser les bras derrière sa nuque tandis qu'un sourire béat envahissait sa bouche.
-Ils ont des danseuses... envoûtantes !
Avec Nicolas, la moindre forme de subtilité devenait inévitablement lourdeur. Ce n'était pas faute d'essayer. Cependant, son côté brut de décoffrage plaisait aux filles. Il lui arrivait parfois de penser que Nico n'avait pas grandi, qu'il était resté cet éternel enfant avide d'aventures et de minettes. Enfin, c'était un bon gars et il savait se montrer sérieux et professionnel dès que cela était nécessaire.
Quant à lui, la vie lui avait infligé tant d'uppercuts qu'il en avait eu la peau dure. Le rêve s'était envolé et il avait réalisé la gravité du futur qui l'attendait. Loin de la distraction.
-On pourrait peut-être y aller ensuite ?
Dani ne se refusait pas pour autant certains plaisirs de l'existence, et le sexe était bien évidemment l'un de ses favoris.
- Monica m'a demandé de tes nouvelles...
Une blonde plantureuse qui affichait plus de peau que de tissus et qu'il ne souhaitait pas revoir. Hormis une satisfaction fugace, elle ne lui avait rien apporté qui l'eut poussé à prolonger leur relation. Il était rare qu'une femme suscite suffisamment son intérêt pour qu'il s'attarde sur elle.
Ce n'était pas plus mal. Un plaisir éphémère et périodique, pas d'attache : c'est ce qui correspondait à son mode de vie.
Telle était la réputation que Dani s'était forgée : dur, impénétrable, froid. Il ne fallait pas s'attendre à la moindre forme de sentimentalisme de sa part. Les seuls êtres encore capables de le toucher étaient bien évidemment ses parents et Sienna, sa petite sœur.-Je me porte mieux loin d'elle.
Sarcastique, il vit Nicolas mener une main à son cœur, comme scandalisé par la cruauté qu'il déployait.
-N'as-tu pas honte d'éconduire ainsi une si charmante jeune femme ?
Charmante ? Ce n'était certainement pas l'adjectif qu'il aurait employé pour définir Monica... Manipulatrice ? Perverse ? Sournoise ? Des termes infiniment plus adaptés. Elle avait tout de même tenté de l'attacher avec des menottes !
Il n'en revenait toujours pas de son affront. Et au regard glacial qu'il lui avait adressé, le message avait été limpide : si elle ne voulait pas amèrement le regretter, mieux valait pour elle qu'elle fasse disparaître dans la seconde les liens métalliques.
Dani ne se laissait jamais aveugler, il envisageait toutes les possibilités, prévoyait les actes de chacun... Ainsi, il n'était pas suffisamment idiot ou excité pour se faire menotter, se mettant en position de vulnérabilité.
Il lui avait « pardonné », car mine de rien, ce soir-là, il avait sacrément besoin de se défouler et il n'avait pas la patience de chercher une remplaçante.
Il en était toujours de la sorte lorsqu'il croisait Vicenzo Di Lauro. Il devait se vider la tête pour ne pas remplir la sienne de plomb. Il n'oubliait pas.
-Tu m'as vu faire bien pire... Boutonne ta veste, ordonna-t-il.
Dans ses mouvements grandiloquents, Nicolas rendait visible le pistolet attaché à son bassin. Si le personnel du théâtre n'aurait jamais eu l'audace de lui demander de s'en débarrasser - parce que tout le monde savait qui il était -, il n'en était pas moins civilisé. Et montrer une arme dans un lieu public sans que cela fût nécessaire était une erreur.
Son consigliere s'exécuta aussitôt. À force d'années, Nicolas comprenait sans problème ses injonctions et les devançait même de temps à autre.
-Dans ce cas, je la consolerai volontiers, reprit-il avec légèreté. Si cela ne te dérange pas, bien entendu !
-Je t'en prie, elle est toute à toi. Je te la donne.
-J'ai l'impression que tu me balances tes restes... Vas-tu me gratifier d'une tape sur la tête si j'aboie ?
-Un coup de poing, plutôt; se moqua Dani.
Personne ne lui parlait ainsi. C'était un droit privilégié dont seul un cercle très restreint pouvait bénéficier. À dire vrai, ce genre de joute verbale lui faisait du bien. Il était si coutumier aux tons serviles et craintifs que l'humour de Nicolas n'était pas déplaisant.
-Après avoir consolé Monica, si tu veux bien ! Je ne suis pas certain qu'elle accepte un homme à la gueule amochée dans son lit.
Oui : brut de décoffrage était le terme. Quoiqu'encore un peu doux !
-Je pense au contraire que tu n'as pas à t'en faire. Elle te tolérerait même avec un dentier... si tu lui présentais ton relevé de banque.
Nicolas rit à sa pointe d'humour digne de celles que Dani parsemait avec avarice et subtilité.
-Fini la plaisanterie, déclara-t-il en arrivant devant un lourd rideau rouge.
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* Consigliere est un poste au sein de la structure de la mafia sicilienne, calabraise
et américaine. Le consigliere est le bras droit du Parrain et son conseiller.
_____________________________________________À suivre... merci pour ta lecture, j'espère que ça t'as plus ! À très vite :
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𝐀𝐕𝐄𝐔𝐆𝐋𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓
RomanceDe l'enfance, Pia Parisi et Dani Corleone conservent un souvenir commun et impérissable. Mais en dix ans, les enfants ont bien grandi : Pia est désormais une artiste de renommée internationale ; Dani, un redoutable parrain de la Cosa Nostra sicilien...